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plage, jaillissent les eaux chaudes auxquelles l’antique colonie grecque de Thermæ devait son nom, graduellement corrompu en Termini. Là, dit la légende, s’arrêta jadis le divin Hercule. Fatigué d’avoir chassé devant lui les bœufs du Soleil, il vint redemander la souplesse de ses membres aux nymphes de la fontaine et sortit de son bain tout rajeuni. Ou le voit, quand les médecins et les industriels de Termini s’occuperont de « faire de la réclame » pour leurs eaux thermales, ils pourront dater d’assez loin l’histoire des sources miraculeuses. Parmi tant de villes d’eaux qui font retentir dans toutes les trompettes les noms des grands personnages de contrebande ou de bon aloi qui les ont visitées, en est-il une seule qui puisse se vanter comme Termini d’avoir rendu la force au fils de Jupiter, et d’avoir été célébrée dans les odes de Pindare ? D’ailleurs, depuis trois mille ans, les sources d’Hercule n’ont rien perdu de leurs vertus, et les habitants s’en apercevront bien lorsqu’ils auront eu l’intelligence de rebâtir la masure des thermes, de nettoyer leurs rues, de remplacer leurs sales auberges par des maisons décentes. Alors les étrangers, qui n’osent aujourd’hui se hasarder à Termini de peur de s’y faire dévorer par la vermine, apprendront le chemin d’une cité que sa position rend belle entre les belles, et qui, par ses sources thermales, dispose de si puissants moyens, de guérison.

Au delà de Termini, la route du littoral suit la base du monte San Calogero, puis traverse un large torrent dont le chemin de fer de Palerme à Catane empruntera bientôt la vallée. Ce torrent est le Fiume Torto. La voiture le traverse à gué, tandis que les voyageurs se hasardent sur un pont d’une dizaine d’arches qui n’est pas complétement terminé. Bientôt nous voyons à droite de la route un vaste plateau à la surface plane, et aux pentes régulièrement escarpées comme des talus de fortifications. Il n’existe pas une maison sur cette terrasse si bien disposée pour recevoir une cité ; mais c’est là que se trouvait autrefois la grande ville grecque d’Himera. À la base du plateau, les Grecs de la Sicile remportèrent une victoire décisive sur une grande armée de Carthaginois, le jour même où les Athéniens détruisaient la flotte des Perses à Salamine. C’est là, sur la plage, que les vaisseaux de Carthage furent livrés aux flammes, et que périt Hamilcar ; mais c’est également là que, soixante-douze ans plus tard, le terrible Annibal, après avoir renversé la ville, mit à mort trois mille guerriers d’Himera et présenta leur sang aux mânes de son aïeul. Actuellement il ne reste plus un seul débris de l’antique cité. Les pierres même en ont disparu.

Si la grande ville grecque a cessé d’exister, en revanche le simple château de Kephalodion s’entoura de maisons, prit graduellement de l’importance, et finit par devenir, sous le nom de Cefalù, la localité la plus peuplée de la côte entre Termini et Barcelonna. Le promontoire auquel la ville doit son nom grec (Kephalè) est, par sa forme, le point le plus remarquable du littoral. C’est un énorme rocher dont le pourtour extérieur, tourné vers la mer, est coupé verticalement. Ses hautes parois jaunâtres, çà et là rayées de noir, semblent suspendues au-dessus des maisons, qui se serrent les unes contre les autres sur un étroit talus de débris à la base du promontoire. Vue de la place de la cathédrale, l’arête du précipice, qui se détache sur le ciel bleu à plus de 100 mètres d’élévation, apparaît comme le haut d’un fort gigantesque, et ce qui accroît encore l’illusion, c’est que les créneaux d’une muraille élevée de main d’homme festonnent toute la circonférence du rocher. La nuit, ces découpures entrevues au milieu des étoiles produisent l’effet d’un rêve de magie.

Du temps des Romains et des Maures, la ville occupait une partie de cet espace montueux que l’abîme limite de toutes parts, et le mur qui suit le bord du précipice devait alors servir de garde-fou pour les habitants eux-mêmes, bien plutôt que d’enceinte utile pour la défense. Bien que la haute ville et la citadelle soient abandonnées depuis des siècles, cependant la muraille circulaire est encore intacte dans toute son étendue, et si les citoyens de Cefalù étaient menacés de quelque invasion, ils pourraient, comme jadis, se réfugier dans leur inexpugnable forteresse. Le seul chemin par lequel on puisse pénétrer dans l’antique Kephalodion est un sentier des plus roides qui serpente en lacets dans une faille du précipice. La porte de l’ancien pont-levis est encore régulièrement fermée toutes les nuits, non par des hommes d’armes, mais par un berger qui veut empêcher ses brebis de s’écarter des pâtis du sommet.

Les ruines de la citadelle, qui couronnent la pyramide centrale du promontoire, n’offrent rien de curieux par elles-mêmes et ne vaudraient pas la peine d’une ascension si, du haut des murailles croulantes, on ne voyait se dérouler une vue comparable en beauté à celle du Monte-Pellegrino. Quant à l’ancienne ville, qui s’étendait au pied de la citadelle sur les pentes supérieures du rocher, et jusqu’au bord vertigineux du précipice, il n’en reste rien que des briques, des matériaux épars, et un simple petit monument quadrangulaire de 15 mètres de longueur, à demi caché par les ronces, les orties et la nappe ondoyante d’un champ de blé. Ce débris sans apparence est pourtant, par son ancienneté, l’édifice le plus vénérable de toute la Sicile. Les murs sont formés de gros blocs juxtaposés, suivant le style cyclopéen, et la porte d’entrée, ouverte du côté méridional, est encadrée par deux lourds pilastres doriques. À la vue de cette ruine de trente siècles, on assiste pour ainsi dire à la naissance de l’architecture grecque. Dans l’intérieur, se trouve une chambre voûtée en briques romaines ; enfin l’extrémité occidentale du bâtiment est surmontée des restes d’une chapelle chrétienne, que les intempéries auront bientôt réduits en poussière. Lorsque toutes ces additions, relativement modernes, auront disparu, les murs cyclopéens résisteront encore pendant des siècles.

Moins superbement située que l’ancien temple des Pélasges, la cathédrale de Cefalù est construite dans la ville basse, au pied de la muraille perpendiculaire du promontoire. C’est une grande église décorée de mo-