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étapes du chemin de tous les artistes, qui ait été détruite par le feu.

Lorsque les deux battants de bronze sont ouverts et que l’on peut embrasser d’un coup d’œil tout l’intérieur de la cathédrale de Monreale, on reste frappé d’étonnement, car aucune des églises du nord de l’Europe et de l’Italie ne donne une idée de l’effet produit par la nef de cet édifice à la fois mauresque et byzantin. Là aussi les architectes ont su donner à l’ensemble un aspect étrange et formidable ; mais ce n’est pas en excluant la lumière ou en la dénaturant par des vitraux comme dans les cathédrales gothiques, ce n’est pas en enfermant les ombres indistinctes sous de hautes voûtes où se perdent les pensées en même temps que les regards. Non, les rayons du soleil pénètrent librement dans la nef de Monreale et révèlent toutes les magnificences de l’architecture, tous les détails des arabesques ; la voûte, soutenue par des poutres dorées, brille des couleurs les plus éclatantes ; le marbre, le porphyre, la serpentine s’unissent pour faire de l’édifice une merveille de splendeur et de richesse. Tandis que le mystère domine dans les églises du nord et qu’on s’y sent ému par une frayeur vague dont il est difficile de se rendre compte, ici, dans l’église byzantine, c’est la vue d’une figure se dressant en pleine lumière qui doit agir directement sur les âmes. Toute la partie supérieure de l’abside centrale est remplie par une grande mosaïque représentant le buste colossal du Christ Pantocrator. Solennel et terrible, le juge lève la main droite comme pour bénir ; mais, dans la main gauche, il tient le formidable livre où se trouve écrite la condamnation des vivants et des morts. Son regard triste est implacable comme la fatalité, on voit que les décisions pour la vie ou pour la mort éternelles y sont déjà prises d’une manière irrévocable. Tout le pourtour de l’église est couvert de mosaïques racontant en groupes sévères les faits principaux de l’histoire biblique ; mais, loin de distraire l’attention de la grande figure qui remplit la nef de son regard puissant, toutes ces formes qui s’agitent ne sont autre chose, dans la pensée de l’artiste, qu’une solennelle procession des siècles devant le juge éternel.

Le couvent de Bénédictins annexé à cette église unique dans son genre renferme également de fort beaux restes de l’architecture sicilienne du moyen âge. Le cloître, l’un des plus grands que l’on connaisse, est entouré d’une galerie quadrangulaire de deux cent seize colonnes disposées deux par deux et toutes décorées de sculptures différentes ; les unes sont polies, les autres cannelées, d’autres encore tordues en spirale : il en est qui sont couvertes de mosaïques, de bas-reliefs, de guirlandes. Les chapiteaux représentent soit des feuillages ou des fruits, soit des animaux étranges, des scènes de chasse, des tournois, des scènes historiques ou bibliques, des miracles ; parfois ce ne sont que de simples arabesques. Sur les deux cent seize chapiteaux, il n’en est pas un seul qui soit la reproduction d’un autre, tant l’imagination. de l’artiste a su varier les formes.

Quant au reste du monastère, il n’offre guère que de riches appartements modernes ou se prélassent les capitaines et les majors de la garnison. Quelques toiles, entre autres un chef-d’œuvre de Pietro Novelli, représentant Saint Bruno et ses disciples, ornent les parois des galeries ; mais le plus beau tableau est certainement la vue que l’on a des balcons du couvent sur la Conque-d’or et sur les montagnes escarpées qui l’entourent. Directement en face, de l’autre côté de la vallée de l’Oreto, on aperçoit la ville de Parco, bâtie sur une terrasse, entre deux précipices. Une route serpente au flanc de ces escarpements, gagne un col ouvert entre deux cimes arides, puis disparaissant et reparaissant tour à tour dans les ravins et sur les contre-forts, développe ses sinuosités dans la direction de l’ancienne colonie d’Albanais, connue sous le nom de Piano de Greci. C’est par une marche entreprise hardiment à travers ces montagnes que Garibaldi s’empara de Palerme en mai 1860. Les troupes napolitaines le poursuivaient sur la route de Piano de Greci et croyaient déjà pouvoir l’acculer dans une gorge, lorsque soudain Garibaldi se jeta vers le nord, descendit dans la plaine, derrière les Napolitains lancés à sa suite, et, renversant à la course tous les obstacles, pénétra dans la ville où la population insurgée l’accueillit avec transport.

À moins d’une lieue à l’ouest de Monreale se trouve un autre couvent de Bénédictins, non moins grand et non moins riche que le premier. Ce monastère, consacré à San-Martino, ressemble à une énorme caserne et barre presque entièrement une vallée enfermée de tous les côtés par de hautes montagnes. Les moines, tous riches et de famille noble, qui se sont établis dans cette espèce d’abîme, à la base de roches nues, n’ont pas manqué, suivant l’habitude des religieux de leur ordre, d’embellir leur palais solitaire de fresques, de tableaux, de statues, de grandes collections de livres et de manuscrits. La communauté de San-Martino se targue d’être la plus opulente de la Sicile ; aussi ne cesse-t-elle de dépenser des capitaux considérables en œuvres d’art et en embellissements de diverses natures. Sans aucun doute, les richesses accumulées dans cette seule maison dépassent en valeur tout ce qu’il y a de meubles et d’argent dans les villages populeux situés plus bas sur la route de Palerme. Le musée du couvent contient de beaux tableaux de Van Dyck, du Dominiquin, de Novelli, d’Annibal Carrache, des milliers d’objets d’art datant de l’antiquité, du moyen âge, et, parmi de nombreuses reliques, jusqu’à « la vraie coupe dans laquelle Socrate but la ciguë ». Malheureusement, tous ces trésors sont distribués sans goût, et tant de choses médiocres se mêlent aux œuvres vraiment belles ou curieuses, que l’attention se fatigue bientôt. On se sent l’esprit soulagé d’un grand poids lorsqu’on se retrouve enfin dans la libre nature, au bord du petit ruisseau qui parcourt le vallon sous l’ombre des Peupliers et des pins d’Italie.

La plus haute montagne des environs de Palerme est le Monte-Cuccio ou Aguzzo, qui n’a pas moins de mille cinquante mètres d’élévation et dont les escarpements