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comme pièce justificative de la contravention au droit d’asile, et le 10 décembre 1862, après huit jours de débats, à cinq heures et demie du soir, six des fugitifs, Ayette en tête, étaient remis à bord de l’Alecton.

Les deux derniers transportés, accusés d’évasion simple, sans complicité notoire dans l’assassinat, ne furent pas rendus. Ils avaient rejoint le canot à la nage après le meurtre.

Je donnai reçu des six prisonniers qui furent aussitôt mis aux fers. Un quart d’heure après, l’Alecton était en route pour Cayenne.


Surinam, et la Guyane hollandaise. — Le coton. — Sa culture et ses ennemis.

La rivière de Surinam est située à quarante lieues environ de la rivière du Maroni.

À une vingtaine de milles de l’embouchure, sur la rive gauche, est bâtie la ville de Paramaribo, chef-lieu de la Guyane hollandaise : Paramaribo, champ des fleurs, d’après la traduction indienne, ville de Parham, d’après une étymologie moins poétique, en l’honneur de lord Willoughby de Parham, auquel Charles II concéda cet état en 1662.

La pointe de gauche, en entrant en rivière, porte également le nom corrompu de ce seigneur anglais. Là, il m’a été donné d’assister à un spectacle curieux. C’était le soir. Le soleil tropical descendait avec rapidité les derniers degrés de sa course, de tous les points de l’horizon des bandes d’ibis, d’aigrettes, de flamants, de spatules, arrivaient en ordre de bataille de tous les points de l’horizon, et venaient se reposer sur les palétuviers du rivage. Sur le feuillage sombre, envahi déjà par les ténèbres crépusculaires, se détachaient les corps blancs et rouges des oiseaux. On eût dit de grands camélias, formant une longue guirlande de pourpre et d’albâtre sur un fond de verdure, points éclatants d’une mosaïque animée qui concentrait les derniers rayons du jour, alors que le fond se perdait dans les teintes obscures.

À mi-distance de l’embouchure du Surinam à la ville de Paramaribo, se trouve la rivière de Comewyne, qui, après un long parcours, communique avec la rivière du Maroni par des criques secondaires, accessibles à des pirogues seules.

La Comewyne et ses affluents baignent les régions du coton. Chargé par le gouverneur de Cayenne d’étudier la culture de cette plante, les machines à égrener et l’industrie en elle-même, je remontai la Comewyne sur l’Alecton, afin d’avoir plus de facilité dans mes observations et de recueillir les renseignements sur les lieux mêmes.

De l’embouchure jusqu’au Matapicca, c’est-à-dire sur un parcours de vingt milles environ, la Comewyne n’offre aucun danger sérieux de navigation. À son entrée, un banc de sable, situé près du fort Amsterdam, oblige à rallier la rive opposée, où l’on trouve encore cinq mètres d’eau. Le brassage varie ensuite de dix et vingt mètres.

Sur chaque rive, les habitations se succèdent presque sans interruption. Ce sont des sucreries en plein rapport et des plantations de bananes pour la nourriture des esclaves. Partout le terrain est coupé de digues, de canaux, d’écluses. Ici éclate dans toute sa puissance le génie du peuple néerlandais, habitué dans son propre pays à lutter contre la mer et à en exploiter les forces nuisibles ou inutiles.

Les obstacles à vaincre étaient multipliés ; il n’y avait plus seulement à conquérir le pays contre la mer, il fallait défendre sa conquête contre les eaux pluviales. Pour utiliser la fertilité de ces terres alluvionnaires, il fallait tout d’abord réglementer cette énorme quantité d’eau que l’hivernage déverse chaque année sur les Guyanes et renvoyer à la mer le trop-plein de cette inondation périodique ; il était nécessaire de ménager des canaux pour la facilité des transports et d’économiser des réserves pour la saison de la sécheresse ; — le drainage, en un mot, était la première opération que réclamait la culture des terres basses de la Guyane. Les Hollandais l’ont parfaitement compris.

Le Matapicca est un des affluents de la Comewyne ou plutôt un bras qu’elle a voulu jeter vers l’océan. À quelques milles de son embouchure, il se divise, et deux canaux le prolongent jusqu’à l’Atlantique, ménageant entre eux une sorte de delta. Ici la main de l’homme est venue en aide à la nature.

L’un des canaux se nomme le Warappa et l’autre conserve le nom de Matapicca ; c’est le Warappa que j’ai remonté. L’accès n’en est possible qu’à des embarcations ; aussi ai-je dû laisser l’Alecton au mouillage pour continuer le voyage dans une de ces longues pirogues qu’on appelle dans le pays tent-corrials, au moyen desquelles les planteurs exécutent leurs longs voyages à travers les cours d’eau nombreux qui sillonnent la colonie. Ce canot rappelle la gondole vénitienne par ses façons nautiques, son avant relevé, son arrière historié. Il est armé par six rameurs esclaves, dont la nage lente et régulière, accompagnée d’un chant monotone, peut se soutenir pendant de longues heures sans interruption. Le dôme fermé qui recouvre l’arrière nous garantit parfaitement des ardeurs du soleil et des grains de pluie fréquents dans cette saison.

Le Warappa est tellement étroit, que les extrémités des avirons effleurent parfois les deux rives. Les palétuviers blancs forment de chaque bord un rideau de pâle verdure peu profond derrière lequel la culture s’étend en riches plantations. Parfois cette bordure de feuillage s’interrompt, et les cheminées des usines, les habitations apparaissent. Ainsi que les cases d’un immense échiquier, toutes les divisions du territoire sont étiquetées et numérotées avec soin. La propriété s’étend partout.

Je n’ai pas pour but de nombrer toutes les habitations qui nous passent devant les yeux. Je vais citer les principales, en rappelant que peu après mon passage, en 1862, l’esclavage a été aboli dans la Guyane hollandaise.