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fermeté et le courage qu’il avait déployés furent pris en considération, on lui fit remise de la peine encourue par tout fugitif, et l’ancien bourreau des forçats a vécu depuis sous la protection bienveillante de l’autorité.

Si telles sont les suites horribles des complots d’évasion des transportés, on ne peut s’étonner que le meurtre des surveillants et des gardes des pénitenciers n’en soient trop souvent les préliminaires. En 1862, la revendication d’un attentat de ce genre, l’assassinat d’un garde du génie par huit forçats évadés de l’Îlet-la-Mère, amena l’Alecton dans les eaux de la Guyane anglaise.

Cette colonie est un lieu d’asile. Les Anglais sont très-jaloux de ce droit international. Tout transporté qui parvient à gagner l’ombre du pavillon britannique par une évasion pure et simple, est sauvé. Il faut des bras pour les colonies et ils acceptent de toute provenance cet élément productif, sauf à tenir toujours ouverts les yeux de leur police active sur les réfugiés qui le leur apportent. Ceux-ci, sans qu’ils s’en doutent, sont soumis il une occulte surveillance et beaucoup d’entre eux, frappés pour d’incorrigibles tendances par les lois sévères de leur nouveau pays, ont pu faire une étude comparative entre les systèmes pénitentiaires de France et d’Angleterre.

Dans le cas où l’évasion, ainsi que nous l’avons dit plus haut, se complique d’assassinat bien avéré, la loi, anglaise autorise l’extradition des réfugiés. Le titre de forçats ne pourrait les faire expulser ; celui de prévenus, quand l’accusation paraît fondée, les fait livrer à la justice de leur patrie. Cela paraît illogique, mais cela est.


La Guyane anglaise.

La rivière de Démérara est le principal cours d’eau de la Guyane anglaise et celui dont l’entrée présente le moins de difficultés. Un bateau-feu, établi à neuf milles de l’embouchure signale lapasse. Auprès de lui mouillent les navires qui doivent attendre la marée. Des bouées et un phare dont la tour se dresse à l’entrée de la rivière concourent à donner toute sécurité à la navigation.

Georges-Town, capitale de la Guyane anglaise, est bâtie sur la rive droite. C’est une ville toute en longueur, formée de deux à trois rues parallèles à la rivière et coupées d’une infinité de traverses aboutissant à des warfs, ponts sur pilotis avançant sur l’eau à l’aide desquels s’opèrent les chargements et déchargements des navires.

Water-Street est l’artère la plus mouvante. C’est là que se trouvent la plupart des magasins. C’est la rue commerçante. Parmi ces magasins il en est de fort beaux ; mais il est difficile de dire la spécialité de chacun d’eux. Dans la même boutique, le chaland peut tout acheter du fromage de Chester et des chapeaux de femmes, des crinolines et des piments au vinaigre, du thon mariné et des robes de soie, de la porcelaine et du cirage anglais, des rasoirs et des confitures de gingembre, des allumettes chimiques et des oiseaux empaillés, des fleurs artificielles et de la morue salée.

À cinq heures tous ces magasins se ferment. La vente est suspendue. Le patron quitte son office et va à son cottage où il se prélasse gravement dans le confort britannique ; au lendemain les affaires sérieuses : Water-Street devient peu à peu désert : ce lieu si animé pendant le jour n’est guère fréquenté à la nuit tombante que par les matelots ivres et les policemen qui veillent sur la propriété abandonnée.

C’est aux abords du marché qu’il faut voir grouiller la population noire. Ce marché, divisé en galeries couvertes, donne d’un côté sur Water-Street, de l’autre sur la rivière. Il est fort bien approvisionné en poisson, viande, fruits et légumes.

Pour une oreille quelque peu délicate, il est toujours discordant d’entendre le peuple anglais se disputer dans ce qu’il appelle sa langue maternelle, mais quand cette langue est défigurée et corrompue, transformée en pa-