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Il m’aurait été agréable aussi de parler du caractère des Siennois, de leurs femmes, qu’un bon Allemand appelle dans son emphase les délices italiennes[1] ; de leurs fêtes publiques et surtout de ces courses des contrade, qui ont le privilége de passionner à un si haut degré les Siennois, et qui donnent à l’étranger le spectacle de plus en plus rare des mœurs et des costumes d’un autre âge. Il serait certes intéressant d’étudier le curieux mécanisme de ces contrade, qui ont survécu à tant de ruines, et qui sont aujourd’hui encore aussi jeunes qu’elles pouvaient l’être au commencement du quatorzième siècle, lorsque, sur l’appel de la cloche de la commune, elles descendaient en armes dans la Piazza del Campo, chacune guidée par son capitaine et déployant son propre drapeau.

Un fattore de la campagne siennoise. — Dessin de de Neuville d’après un croquis de Franchi.

Sienne a beau être découpée officiellement, comme toutes les villes du monde, en quartiers ou en paroisses, sa tradition repousse toute autre division politique et religieuse que celle de ses dix-sept contrade. Chacune d’elles a son étendard, son église, son saint patron, son histoire, ses alliées ou ses rivales ; chaque contrada est en somme une petite patrie dans la plus grande, une nation en miniature. Il faut voir de ses propres yeux l’émotion passionnée avec laquelle le Siennois accompagne dans sa course le cheval qui porte les couleurs et la fortune de sa contrada ; — il faut assister aux cris de joie, aux larmes de tendresse, aux épanchements incroyables que le triomphe fait éclater parmi les vainqueurs ! On danse, on crie, on s’embrasse dans les rues illuminées, autour de l’heureux fantino, que les femmes recouvrent de baisers ; les cloches sonnent à toute volée ; les portes de l’église de la contrada s’ouvrent à deux battants devant la foule enthousiaste qui, tout en remerciant le saint patron, allume tous les cierges, et porte dans ses bras jusqu’au pied de l’autel le fantino, et souvent aussi le cheval !

On ne pourra jamais dire que l’on connaît les Siennois si l’on n’a pas eu le spectacle des courses le 15 août sur la place du Camp.

B. Costantini.



  1. Schroder, Monum. Italiæ. — La célèbre Roxelane, femme de Soliman II, dont le Tour du monde a parlé avec détails (vol. VII, pag. 4 et suiv.), appartenait à une noble famille siennoise. Elle s’appelait Margherita, était fille de Nanni Marsili, et avait été enlevée sur la plage, près de son château de Colecchio.