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féconde. Formes étranges, couleurs brillantes, tout est réuni pour séduire les regards et captiver l’attention. Le Maroni est une terre promise pour le collectionneur le plus insatiable. Le fulgore porte-croix, le fulgore porte-lanterne, le charançon bleu pointé de noir, l’arlequin dont le nom indique l’habit, la mouche éléphant, l’actéon, toutes les raretés, toutes les variétés de cette immense famille des coléoptères, des dyptères, des hémiptères, etc., s’y rencontrent. Les papillons les plus splendides, dont quelques-uns sont inédits encore, soit diurnes, soit nocturnes, surprennent par la bizarrerie de leurs dessins et la perfection de leurs organes, et les mouches à feu emplissent l’air de gerbes d’étincelles.

La plupart de ces insectes sont inoffensifs ; mais quelques-uns sont de vrais démons cachés sous une enveloppe microscopique, et les plus petits sont trop souvent les pires.

Les moustiques sont une véritable calamité publique qui rend inhabitables certaines localités. Si pauvre que soit un ménage, la moustiquaire en est le meuble le plus indispensable, car c’est la sauvegarde du sommeil et la garantie du repos. On entend bien toujours à travers la gaze protectrice, l’éclat de la trompette que


Scolopendre. — Dessin de Delahaye d’après nature.


sonne l’ennemi, mais on est à l’abri de ses piqûres. Les planteurs d’autrefois avaient imaginé en faveur de leurs esclaves un châtiment atroce qui consistait à exposer les coupables aux piqûres des moustiques, le corps enduit de miel et les mains enchaînées. La plupart des patients devenaient fous de rage, quelques-uns en mouraient.

Il y a des moustiques de plusieurs espèces. Il en est de quasi-imperceptibles qui ne trahissent leur présence que par la douleur qu’ils vous causent. On les nomme maringouins. Cette espèce est plus particulièrement endémique aux vases des rivières, aux heures de la basse mer. Il y en a aussi de plus grande taille et qui vous font jaillir le sang des veines à chaque piqûre de leur lancette. On les appelle maques.

J’ai suivi une fois, pas à pas, sur la route de Saint-Laurent à Saint-Louis, la marche d’une armée de fourmis noires, dites fourmis de feu à cause de la brûlure que cause leur venin. La colonne, formée de rangs épais, ondulait suivant les terrains, fuyant les obstacles qu’elle ne pouvait franchir, grimpant ou descendant


Yule de la Guyane. — Dessin de Delahaye d’après nature.


suivant l’exigence des cas. Elle semblait obéir à un ordre donné et à une discipline sévère. Ce corps expéditionnaire dessinait un ruban d’une cinquantaine de mètres et l’avant-garde se perdait au loin dans le fourré. Était-ce une armée d’émigrants, une colonne rentrant de maraude ? Mon savoir entomologique ne va pas jusqu’à pouvoir préciser l’un ou l’autre fait.

Les dégâts que ces insectes font subir aux plantations sont terribles. On est obligé de compter avec ces petites bêtes que leur nombre rend redoutables. Quelquefois on est obligé de fuir devant elles et de capituler, et c’est ainsi qu’on a dû leur abandonner en toute propriété certains quartiers qu’elles auraient ravagés quand même, en dépit de toute précaution et de toute défense. L’eau ne devenait plus un isolant et un préservatif contre leurs agressions, et elles profitaient adroitement de tout pont improvisé pour envahir la place.

Voici un ennemi dont le contact est plus repoussant et la dent plus venimeuse ; c’est l’araignée-crabe, le géant de l’espèce. La création n’offre rien de plus hideux et de plus repoussant que cette horrible bête qui ne se contente pas de faire la guerre aux insectes, et s’attaque même aux petits oiseaux à qui elle suce le sang après les avoir engourdis de son venin. L’oiseau-mouche