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un certain travail de la séve que l’habitude fait connaître pour chaque espèce. Le changement que l’hiver et l’été apportent dans la physionomie de la nature est un guide certain pour la routine. Mais dans ces espèces d’arbres inconnus, dans cette végétation toujours éveillée, toujours verte, toujours vivante, où chercher les lois de la coupe, et réglementer l’exploitation ? Les indigènes ne savent rien, et que leur importe de chercher le moment précis de mettre la hache au bois.

Ici comme ailleurs, on dut faire des écoles, et ce n’est que par tâtonnements que l’on arrivera à opérer sur des règles invariables. On a eu plus d’une fois la peine d’amener, à grands frais sur la plage, des pièces de bois superbes qui n’avaient d’autres défauts que d’être fendues au cœur, et de ne pouvoir plus être utilisées et débitées qu’en planches. Elles avaient été coupées en temps inopportun.

On divise les bois de la Guyane en deux classes distinctes : les bois durs et les bois mous. Les premiers sont produits par les terres hautes ; les seconds par les terres basses. Les deux classes renferment environ cent huit essences qu’on peut faire servir aux constructions de terre et de mer, à la menuiserie, à la charpente, au charronnage, à l’ébénisterie et à la teinture. Ils ont un grand avantage, reconnu par les observations des ingénieurs de la marine, celui d’être éminemment incorruptibles, qualité essentielle dans les constructions navales.

Je ne fais pas entrer dans cette nomenclature les arbres à gomme, à résine, à baume, et les végétaux pouvant fournir des substances aromatiques ou médicinales, dont cependant l’exploitation peut marcher de front avec une plus vaste entreprise.

Depuis quelques années, on a enregistré dans ces forêts un ennemi de plus pour l’homme. C’est une petite mouche sans dard ni venin, inoffensive en apparence et


Scorpion géant de Cayenne. — Dessin de Delahaye d’après nature.


cependant plus redoutable que le tigre et que le serpent. Les naturalistes l’ont baptisée Lucilia homini-vore, et cette épithète justifiée par une fatale expérience dépeint ce terrible fléau. La mouche anthropophage, puisqu’il faut l’appeler par son nom, n’a ni l’aiguillon de la guêpe ni le bourdonnement du frelon, elle ressemble fort à la mouche vulgaire de la viande, rien ne la signale ni ne la dénonce aux victimes qu’elle va frapper (voy. p. 311).

Elle s’introduit dans le nez ou dans les oreilles de l’homme endormi, et dépose ses œufs dans ces cavités qu’elle se hâte d’abandonner. Les sinus du nez et le tympan deviennent des ruches où se consomment toutes les métamorphoses de l’insecte et d’où l’essaim prendra son vol, Les désordres occasionnés par la présence de ces milliers de larves aux abords du cerveau amènent une méningo-céphalite qui emporte le malade au bout de quelques jours avec des souffrances intolérables.

La plupart des transportés attaqués par la lucilia homini-vore ont succombé malgré les secours de la science. Les cures que l’on a obtenues sont des exceptions. Sur une douzaine de morts constatées, on cite trois ou quatre guérisons.

La térébenthine pure et le chloroforme ont été quelquefois des agents efficaces, mais ont le plus souvent échoué. Du reste, l’action de la térébenthine sur la larve n’est pas mortelle ; elle la fait se contracter et tomber.

Plusieurs larves ont été plongées dans un bain de chloroforme, dans une solution concentrée de bichlorure de mercure, qui ont cependant la propriété de détruire tous les animaux inférieurs, et elles ont résisté à la vertu corrosive de ces agents chimiques, prouvant encore leur existence par un reste de sensibilité.

Jamais pays ne fut plus peuplé d’insectes que la Guyane, jamais l’entomologiste ne trouvera mine plus