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vivront des états manuels. La banlieue demeurera le champ de travail des cultivateurs, de ceux qui s’adonneront exclusivement à l’agriculture.

Le même système a présidé à la formation de toutes les concessions ; c’est une théorie empruntée, sous certains points de vue, au phalanstère ; c’est la théorie de la formation des groupes équilibrés et disposés pour recueillir les bénéfices de l’association.

On compose un groupe de vingt transportés, à la disposition desquels on met gratuitement : instruments aratoires, outils, bêtes de trait, tombereaux, brouettes, semences, etc. Les alignements et les devis des constructions sont tracés par les soins de l’autorité supérieure qui marque également la place que doit occuper chaque maison. Chaque propriété rurale doit avoir cent mètres de large sur deux cents mètres de profondeur. Les maisons font face à la route qui coupe en deux la concession du groupe ; elles sont disposées de façon à ne jamais se faire vis-à-vis.

La concession faite à un groupe de vingt transportés représente donc un kilomètre de route, mesurant de chaque côté une superficie de deux cents mètres de profondeur en culture, et garni de vingt maisons, dix de chaque bord, qui se trouvent espacées de façon qu’il y en ait une tous les cinquante mètres, soit à droite, soit à gauche.

Le travail commence d’abord en commun. La première opération qu’ont à faire les transportés menés dans la forêt qu’ils doivent convertir en centre agricole, est de se bâtir à faux frais un logement provisoire pour s’abriter. Après quoi ils bâtissent les vingt cases et les relient par une route qui doit joindre également la concession nouvelle à la concession la plus voisine, si ces deux concessions ne sont pas contiguës. Ils exécutent encore une partie de l’abatis et des défrichements, qui sont les opérations préalables nécessaires à l’ensemencement et à la mise en terre des plantes potagères dont la culture s’appelle la production des vivres.

Alors le travail en commun cesse et l’individualité se dessine. L’association a vaincu les obstacles que l’homme seul n’aurait pu surmonter, elle a maintenant terminé sa tâche et laisse chacun de ses membres livré à sa propre intelligence et à ses aptitudes particulières. Quoique les vingt cases soient bâties sur le même modèle, comme il peut y avoir des concessions dont l’exposition ou le sol entraîne certains avantages, les vingt lots sont tirés au sort et chaque transporté dirige sa culture à sa guise, en se conformant cependant aux conseils de l’administration supérieure qui, tout en conservant la haute main, laisse encore une latitude convenable aux inspirations particulières.

L’autorité suit quelque temps des yeux la conduite et le travail du transporté, et si elle est satisfaite de son examen, elle lui accorde définitivement la concession de son lot. Le voilà désormais propriétaire d’un immeuble et investi de tous les droits attachés à ce titre. Il peut acheter et vendre, il peut s’associer et mener de front plusieurs concessions. S’il a des capitaux en France, il peut les utiliser ; s’il a une famille, maintenant qu’il peut la loger et la nourrir, il obtient de la faire venir et l’État se charge des frais de voyage des émigrants.

S’il n’a pas de famille et s’il éprouve le besoin de s’adjoindre une compagne ; s’il désire peupler sa solitude, si l’idée de la paternité sourit à ses sentiments affectueux, il demande une femme, et l’État se constitue également pour lui en agence matrimoniale.

Les femmes envoyées à la Guyane pour unir leur sort à celui des transportés, sont prises dans le même milieu qu’eux. Ce sont des femmes sortant des maisons centrales, entachées de condamnations plus ou moins graves. Mais il n’est pas défendu au transporté de choisir une compagne ailleurs, s’il peut en trouver une de bonne volonté.

Jusqu’au jour solennel, où elles sont conduites à la mairie et à l’église, les filles et les femmes destinées à peupler la Guyane de la transportation, sont confiées à la garde et à la discipline sévère des dames de Saint-Joseph-de-Chartres. Ces religieuses sont également chargées de l’éducation des enfants des condamnés.

Comme les futures épouses doivent être spécialement occupées aux rudes travaux agricoles, qu’elles sont appelées à aider leurs maris dans leurs défrichements et leurs cultures, on les a choisies, autant que possible, parmi les filles de campagne, de constitution robuste. J’en ai trouvé peu de jolies, parmi celles que j’ai eu occasion de voir ; cependant, en dépit de leur misérable costume, quelques-unes peuvent plaire encore.

Chose étrange ! le plus grand nombre a subi sa con-