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sent, pêchent, cultivent un peu de manioc et font quelques poteries grossières, cuites au soleil et enluminées au moyen de sucs végétaux.

Le manioc est le blé de la Guyane. Cet arbuste, de la famille des euphorbiacées, se termine par une racine tuberculeuse qui a la singulière propriété de fournir en même temps un violent poison et une excellente substance alimentaire. Il faut séparer l’une de l’autre. L’opération est simple et permet de faire entrer dans la consommation cette farine qui, sous les noms divers de couac, de sagou et de tapioca, est de si grand usage dans le monde des trois continents. Voici sommairement le procédé employé pour opérer l’élimination du principe vénéneux.

La racine est dépouillée de sa peau, puis frottée sur une râpe. L’espèce de bouillie qui en résulte est mise dans une sorte de couleuvre en tissu de latanier, susceptible de grande extension. Un fort poids aide à la compression de la substance dont la partie liquide s’écoule par les pores de la couleuvre. Lorsqu’elle a égoutté suffisamment, on prend cette pâte et on l’étend sur des plaques de fonte exposées à un feu ardent. L’évaporation fait justice des derniers sucs malfaisants.

Comme on le voit, la manutention du manioc est des


entrée de la rivière du Maroni. — Dessin de Riou d’après une aquarelle de M. Rodolphe.


plus primitives. Cette culture forme à peu près toute l’agriculture des Indiens. Le peu de soins qu’exige la plante jusqu’à la récolte convient au caractère indépendant de ces nomades enfants des forêts. Ils ne savent se plier à aucun de ses assujettissements, à aucune de ces entraves qui semblent compromettre la liberté de l’homme.

La-dessus leur susceptibilité s’effarouche facilement ; ils ne s’inquiètent ni de l’avenir ni du but, ils ne voient que le présent. Le fleuve renferme du poisson, les bois cachent du gibier ; poisson et gibier sont à qui sait les prendre ; pourquoi nourrir des animaux domestiques ?

Un administrateur de Cayenne voulut faire accepter à un Indien une vache et un taureau, en cherchant à lui faire comprendre l’avantage qu’il pourrait en retirer, mais en lui expliquant aussi les soins qu’exige le bétail.

Le sauvage refusa le présent avec obstination.

« Tu veux, répondit-il, que moi, qui suis un homme libre, je me fasse l’esclave d’un bœuf, que je lui donne à boire, à manger, que je marche derrière lui ? Jamais ! pas la peine encore ! » Si l’Indien se croit gêné dans l’exercice de cette liberté chérie, il déménage. Femmes, enfants et bagages sont embarqués dans la pirogue, et il va construire un carbet dans un autre lieu. Il exécute souvent la même manœuvre, sans raison apparente, sans autre motif que cet impérieux besoin de changement qui le domine exclusivement. Une fois qu’il a planté le manioc, il aban-