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condamné à mort, tous les étudiants bolonais résolurent de quitter la ville, et, guidés par Guillaume Tolomei, Siennois, qui enseignait le droit à Bologne, se rendirent tous à l’Université de Sienne avec plusieurs autres de leurs professeurs. La république les reçut avec empressement, leur donna le droit de cité, s’obligea à racheter les livres qu’ils avaient laissés en gage à Bologne pour six mille florins, à payer leurs professeurs à raison de trois cents florins d’or par an, et à leur fournir pour seize mois des logements gratuits. Mais ils ne restèrent pas longtemps à Sienne, car la ville de Bologne ne marchanda pas pour les engager à retourner, et, après leur avoir accordé force priviléges, obligea le potestà à faire ses excuses à l’Université. Après le départ des étudiants bolonais, le studio de Sienne parcourut une période de décadence jusqu’en 1357, année où elle fut dotée de nouvelles chaires, et enrichie d’exemptions et de priviléges par un diplôme de Charles IV, cet empereur de comédie, qui était descendu en Italie non pour restaurer l’autorité de l’empire, mais pour battre monnaie, et à qui les Siennois avaient racheté la couronne qu’il avait laissée en gage à Florence,

En 1323 il n’y avait pas d’édifice spécialement affecté à l’Université. Les professeurs tenaient leurs cours dans des maisons particulières dont la république payait le loyer. Ce ne fut que plus tard, en 1408, qu’on installa le studio dans l’ancien hôpital de la Miséricorde, nommé depuis Casa della Sapienza. L’Université a quitté cette ancienne résidence en 1816, pour faire place à l’Académie des beaux-arts et venir occuper le couvent de Saint-Vigile où elle est encore.

J’aime ce grand palais dont la vue me reporte aux dernières années de ma vie d’étudiant. Le pays était alors en pleine occupation autrichienne ; professeurs et étudiants, qui presque tous avaient fait la campagne de 1848 en Lombardie, étaient également suspects et tourmentés par la police. Je me rappelle encore le moment où l’un de nos professeurs, que nous aimions tous pour son patriotisme, nous entretenait d’une des époques les plus glorieuses de Rome ; sa parole convaincue et passionnée nous entraînait bien loin à la suite de l’aigle victorieuse, lorsque sa voix faible et voilée fut tout à coup comme éteinte par une bruyante et joyeuse fanfare qui fit trembler les vitres de toutes les croisées. C’étaient les chasseurs tyroliens qui allaient relever le poste de la préfecture, vis-à-vis de nous. La transition du passé au présent était brusque ; un grand silence se fit dans la salle, et notre jeune professeur se levant, nous dit d’un air triste :

« Hélas ! mes amis, ce n’est pas le clairon des légions de nos pères[1] ! »

Ce même palais, ces longs corridors, ces salles silencieuses où, dans le douzième siècle, se promenaient de graves figures de camaldules, furent habités en 1495 par la brillante noblesse de France. Charles VIII, revenant de son expédition de Naples, y séjourna une semaine[2]. Appelé en Italie par l’ambition de Ludovico il Moro, il avait traversé la péninsule, occupé le royaume de Naples sans coup férir, et était entré dans nos villes en conquérant, la lance au poing ; les forteresses s’ouvraient devant son cheval ; un homme seul, Piero Capponi, dans cette ville occupée alors par toute son armée, avait eu le courage de lui résister et de prononcer le mot célèbre qui lui a valu une si mauvaise statue sous nos loges degli Ufizi.

Mais durant les six jours que Charles passa à Sienne, sa fortune déclina rapidement. Tandis que d’un côté les Napolitains revenaient à leur ancien roi, de l’autre se formait contre lui une ligue formidable ourdie par ce même Sforza qui lui avait ouvert l’Italie. Déjà on menaçait de lui couper le retour, et il dut s’ouvrir une issue par les armes dans cette célèbre bataille de Fornovo ou du Tar, qui parut alors bien sanglante, mais qui n’était pourtant que le prélude des grands carnages qui ensanglantèrent l’Italie dans les luttes de François Ier et de Charles V.

C’est aussi dans cet ancien couvent que Charles reçut les ambassadeurs de Florence, qui venaient réclamer de lui la restitution de Pise. Vers la fin de l’année précédente, Pierre de Médicis avait eu la faiblesse de lui céder les forteresses de Pise, de Sarzane et de Pietrasanta, qui étaient la clef de l’État, à condition toutefois que le roi les rendrait après la conquête de Naples, ou, en tout cas, à son retour en France. En même temps que les Florentins profitaient de la maladresse du malheureux négociateur pour se débarrasser des Médicis, Charles arrivait à Pise. Cette ville qui, après une lutte acharnée avec Florence, avait dû se rendre en 1406 par famine, vaincue mais non résignée, avait cru voir dans son arrivée une occasion favorable pour rompre le joug détesté de sa rivale. Hommes et femmes, vieillards et enfants, tout un peuple s’était jeté aux genoux du roi, se plaignant de la tyrannie florentine, implorant l’ancienne liberté. Sans plus attendre on avait abattu les enseignes de Florence. Le roi, satisfait d’occuper pour son compte la forteresse, avait d’abord

  1. Le manque d’espace, qui me force à retrancher une grande partie de ce chapitre, ne me permet que de donner une simple liste des illustrations les plus remarquables de l’Université siennoise. — Juristes. Les Soccini ou Sozzini (Socins) ; Marian l’aîné (1397-1467) ; Barthélemy, son fils (1436-1507), Marian le jeune, son petit-fils (1482-1556), Louis Cremani, criminaliste. — Théologiens dissidents. Lelio Soccini, fils de Marian le jeune, fondateur d’une secte religieuse qui prit son nom (mort à Zurich en 1562, âgé de 37 ans). Fausto Soccini, neveu de Lelio, et continuateur de ses doctrines (mort à Cracovie en 1604, à 65 ans), Bernardino Ochino, réformateur (mort en Moravie en 1563, à 17 ans), Sisto da Siena, né Juif, se fit catholique et moine ; plus tard, condamné à mort comme calviniste, dut sa grâce à l’amitié de Jules III et du cardinal Ghislieri (Pie V) et à sa grande célébrité (1520-1569). — Sciences sociales. Sallustio Bandini, auteur du célèbre Discorso sulla Maremma Sanese, écrit en 1737, publié en 1775 par ordre du grand-duc P. Léopold, est le précurseur de tous les économistes. Simone Fondi, qui dans le commencement du quatorzième siècle, après avoir visité le territoire de la république, en présenta un rapport à la Signoria, est peut-être le père de la statistique. — Enfin, Folcacchiero Folcacchieri, chevalier siennois, est l’auteur de la plus ancienne poésie qu’on connaisse dans notre langue (1177).
  2. 13-19 juin 1495.