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suisses, écossais, génois et autres. Quant au fusil, ils s’en servent médiocrement. Jamais un Indien ne compromet son coup ; la poudre coûte cher, et la balle ne se retrouve pas comme la flèche. L’Indien ne tire ni au vol ni à la course. L’élément de ses succès cynégétiques, c’est la patience. En fait d’adresse, l’Européen est encore le maître du sauvage.


Un émigrant dangereux dans l’île de Cayenne.

Le 8 janvier 1862, un mouvement inusité agitait toute la ville de Cayenne. Il n’était que six heures du matin, et la population, si paresseuse d’habitude, encombrait la place du marché. Il s’agissait d’une exécution capitale ; l’instrument de mort élevait sa funèbre charpente au milieu de la place, et, en dehors de la curiosité cruelle que ce spectacle excite en tout lieu, cette expression fatale de la justice humaine était ici saluée comme une délivrance, tant le redoutable bandit, que le glaive de la loi allait frapper, avait inspiré de terreur, tant ses crimes avaient provoqué des cris de vengeance.

Ce misérable, qui allait expier par sa mort une vie de forfaits, était un immigrant africain nommé D’chimbo, plus généralement connu sous le nom de Rongou.

Les Rongous sont une tribu de nègres de la côte occidentale d’Afrique dans le voisinage du Gabon.


Rue de Berry à Cayenne. — Dessin de Riou d’après un croquis de M. Touboulic, capitaine de frégate.


Pendant dix-sept mois, D’chimbo a tenu en échec la police de la colonie. Vivant dans les bois circonscrits par les limites restreintes de l’île de Cayenne, à quelques centaines de mètres d’une ville de huit mille âmes, invulnérable et insaisissable, échappant à toutes les embûches, invisible pendant quelque temps, puis signalant sa présence par le meurtre et le vol, ce bandit a défié, soldats, gendarmes et habitants acharnés à sa poursuite.

Le bonheur avec lequel D’chimbo se dérobait aux agents de la force publique, sa présence presque simultanée sur plusieurs points de la colonie, ajoutaient quelque chose de surnaturel et de mystérieux à l’effroi bien justifié qu’il inspirait déjà. Les habitants ne se hasardaient qu’en tremblant sur les chemins : les femmes surtout, qui étaient le plus en butte à ses attentats, croyaient voir partout le terrible Rongou. On ne sortait plus qu’en nombre, et encore n’était-on pas toujours à l’abri de ses agressions ; aussi les relations de la ville et de la campagne souffraient de cet état de choses, et le marché menaçait de ne plus être approvisionné par les cultivateurs effrayés.

Pour bien expliquer l’impunité dont sembla jouir si longtemps le bandit, il suffit de se représenter ce que c’est que l’île de Cayenne. Quoi qu’étant de beaucoup le point le plus peuplé et le mieux cultivé de toute la Guyane, l’île de Cayenne a encore bien des terrains