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appelée gaule. Sur leurs cheveux bruns se noue, en forme de turban, un mouchoir de soie qui donne à leur beauté un cachet oriental et biblique.

La gaule est commune à toutes les classes de la société. Les mulâtresses la portent également. Chez les négresses elle est moins ample, moins longue, et se complète par une pièce d’étoffe nommée camiza, qui entoure les reins et descend à terre, en accusant franchement les beautés plastiques. Enfin, sur toutes les têtes, noires ou bistrées, brunes ou nuancées, s’élève le madras national.

Le madras est varié dans sa couleur ; il subit aussi les caprices de la mode, mais ce sont toujours des tons crûs et voyants. Le jaune y domine, le jaune, fard des brunes, le jaune, couleur de l’or, couleur du soleil. Ce fond éclatant est quadrillé par des bandes noires, rouges et vertes, dont l’engencement presque classique maintient l’artiste dans une fantaisie limitée. Pour donner plus de brillant à ces couleurs, on les recouvre parfois d’une couche de peinture à l’huile, ce qui alourdit singulièrement ces sortes de coiffures. Cela s’appelle des mouchoirs calendés.

À première vue, on dirait que tous ces madras sont mis de la même façon ; mais il y a là bien des nuances qu’une étude approfondie fait connaître. Le conscrit ne met pas son bonnet de police de la même manière que le vieux soldat. Le madras est tout un poëme, le madras décèle le caractère, annonce l’état du cœur, le madras est un indiscret volontaire. Suivant que la pointe est inclinée à droite ou à gauche, qu’elle s’élève droite et fière vers le ciel, ou se penche tristement à terre, il y a là une série d’allégories parlantes.

On dit que, lorsque le pouvoir de leurs charmes est insuffisant, les filles de la Guyane, pour ramener l’infidèle, pour se venger du perfide, pour fixer l’inconstant, pour ranimer une flamme éteinte ou mourante, savent trouver de mystérieux auxiliaires dans les plantes de la savane et les arbres de la forêt. Elles sont très-habiles en botanique ces négresses ignorantes, ces jeunes filles sans éducation. Elles en remontreraient à bien des savants médecins, sur la vertu des simples et sur les ressources de la flore tropicale. Telle plante éteint la pensée, abat la volonté, celle-ci énerve, celle-là tue ; tout cela leur est connu.

Quand leur propre science est en défaut, quand les moyens naturels leur manquent, elles s’adressent alors aux sorciers indigènes qui leur vendent au poids de l’or des talismans ou pïayes, dans lesquels elles ont la plus grande confiance.

Le mot pïaye, nom que l’on donne actuellement à la Guyane à tous les remèdes de commère, désignait jadis les médecins, prêtres, jongleurs des Indiens. Des débitants, le nom a passé à la marchandise. Ces philtres ne sont pas toujours innocents. Composés, pour la plupart du temps, de stimulants énergiques ou vénéneux, ils exaltent le système nerveux, et peuvent amener de graves désordres.

Le sorcier.indien appartient à la grande famille des charlatans, qui exploitent la crédulité et la bêtise humaine chez tous les peuples. Il débite sa drogue avec un air convaincu, et ne se donne même pas la peine d’accompagner sa vente du boniment traditionnel dans la profession. Ses clients ont une foi si robuste qu’il n’a pas besoin de dorer la pilule, et les prescriptions sont religieusement suivies, quelque puériles et repoussantes qu’elles paraissent.

Le pïaye joue un grand rôle dans la vie créole. Il sert à tout, il explique tout. C’est le mauvais œil, c’est le sort jeté par la vieille négresse, au regard oblique ; c’est un fétiche, une amulette, un gri-gri ; c’est un préservatif, c’est un bouclier, c’est une arme ; c’est la mauvaise fortune, c’est le bonheur.

Le pïaye n’est pas exclusif ; il emprunte ses mystères à tous les rites. Il fait le bien comme le mal. Il ne borne pas sa puissance au département des amours. Son empire est plus vaste et plus absolu. Il s’occupe de tout et même d’autre chose. S’il a des recettes infaillibles à l’usage des amants, il s’intéresse également à la santé publique, et guérit les maux passés, présents et futurs.

Exemple : Un de mes amis souffrait d’une insolation. La fièvre était ardente, la tête brûlait, la congestion était imminente. On allait mettre en pratique la médication du docteur Sangrado, tirer du sang dans un pays ou l’on en a rarement trop pour sa consommation, quand la propriétaire de mon ami, une vieille mulâtresse qui lui portait intérêt, demanda à traiter le malade à sa façon. Voici le remède avec la manière de s’en servir :

Prenez une bouteille de litre ; remplissez-la d’eau aux trois quarts ; mettez-y trois grains de maïs, ni plus, ni moins ; trois grains, entendez-vous ? Ajoutez-y une alliance d’argent, alliance de mariage, bénite ; si l’alliance est en or, n’allez pas plus loin, la réussite est manquée ; il faut une alliance en argent. À midi, temps moyen ou temps vrai, au choix, le malade est assis dans une chaise, ou dans un fauteuil, à l’ombre d’un manguier ou de tout autre arbre qui donne de l’ombre. On met sur le front de ce malade un linge mouillé, et l’on y appuie fortement le goulot de la bouteille.

Peu à peu, le linge s’échauffe, la chaleur du cerveau se communique à l’eau de la bouteille ; de petites globules montent du fond à sa surface, le liquide bouillonne ; le tour est joué. Retournez rapidement le récipient, bouchez vite ; le soleil est en bouteille et le malade est guéri.

Mon ami s’est parfaitement trouvé du traitement. Là, le pïaye se trouve dans les trois grains de maïs et dans l’alliance en argent. Ne riez pas et usez à l’occasion du spécifique. Du reste, je le donne gratuitement, et sans garantie du gouvernement. En tout cas, s’il ne fait pas de bien, il ne peut faire de mal, et n’enrichira pas les pharmaciens.

Tant que les Indiens ne s’adressent qu’aux propriétés inoffensives du règne végétal, on peut rire de la naïveté de leurs superstitions, sans songer que peut-être nous ou avons de tout aussi ridicules dans notre pays. Mal-