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généralement pas entre des berges déclivées et verticales et leurs bords ne sont indiqués le plus souvent que par les arbres des forêts noyées qui viennent y baigner leurs racines.

Toutes les fois que ces rivières ont leur cours renouvelé par le flux et le reflux, que les affluents s’écoulent d’une manière régulière, que des canaux naturels ou factices réglementent et activent l’expulsion de cette inondation annuelle, que les brises de mer viennent corriger l’air vicié par les exhalaisons de senteurs végétales trop énergiques pour nos organes, alors la salubrité générale n’est pas compromise.

Mais quand la nature des lieux arrête l’écoulement des eaux, quand de vastes marécages n’attendent leur dessèchement que de l’évaporation et de l’absorption, les miasmes délétères des détritus végétaux en putréfaction, les émanations des limons boueux des lacs et des marais stagnants amènent tout le cortége fatal des fièvres et des affections paludéennes. Alors, malheur aux lieux placés sous le vent de ces foyers épidémiques dont l’influence se fait sentir à de grandes distances.

C’est ainsi que dans la Guyane, certains endroits jouissent d’une santé publique très-florissante, tandis que d’autres séjours sont mortels sans que la cause du mal soit immédiate, sans que l’on voie l’ennemi dont on ressent les coups.

C’est ainsi que l’on a dû renoncer à coloniser certains quartiers qui par eux-mêmes ne paraissaient présenter aucun danger, mais qui subissaient des influences étrangères. Les sommets, que l’on avait crus beaucoup moins malsains que les plaines, ont été également soumis à ces lois, avec d’autant plus de force que les miasmes tendent toujours à monter. L’habitation de la Gabrielle, par exemple, située en terre haute, un des points les plus élevés de la colonie et où le gouvernement voulut faire une habitation modèle, s’est trouvée un des lieux les plus malsains, étant sous le vent des grands marais de Kaw qui l’inondent de leurs effluves pestilentielles.

Les essais que l’on a dû faire pendant les dernières années pour chercher un point favorable à la transportation, ont amené bien des mécomptes de ce genre et augmenté d’une manière bien sensible le chiffre de la mortalité, tant parmi les détenus que parmi les soldats et le personnel libre affectés à leur garde, et qui jadis bornaient leur service à l’île de Cayenne.

L’île de Cayenne jouit d’un état sanitaire des plus satisfaisants. Le Maroni est dans des conditions à peu près identiques, malgré les défrichements récents, et cet état ne pourra que s’améliorer, car ce n’est jamais impunément que l’on remue les terres vierges, et généralement les premiers pionniers laissent bien des morts sur la place.

Les effrayants épisodes que nous avons retracés ne doivent pas entrer en ligne de compte dans une statistique consciencieuse, pas plus que l’on ne doit prendre, pour base, avec son chiffre réel la mortalité des transportés. Usés par une vie malheureuse ou coupable, ainsi que par le régime des prisons, agglomérés sur des points en défrichement, subissant l’empire de causes morbides étrangères au pays, ces hommes sont en dehors des lois générales. La statistique ne doit se fonder que sur la garnison européenne.

Or, les observations de 1838 à 1847, c’est-à-dire dans un espace de neuf ans, donnent les résultats suivants pour les colonies françaises.

Mortalité annuelle.
Guyane 2.53 p. cent.
Bourbon 3.05
Martinique 9.04
Guadeloupe 8.90
Sénégal 6.17

Cette statistique serait des plus favorables à la Guyane, et cela s’explique. Les fièvres de la Guyane, à moins qu’elles ne revêtent le caractère pernicieux, usent l’homme mais ne le tuent pas. La dyssenterie n’est pas commune, et la fièvre jaune n’y apparaît qu’à de rares époques, tandis qu’elle est endémique aux autres colonies.

Les grandes contagions suivent des lois presque immuables dans leur déplacement et leur propagation. Composées d’atomes insaisissables, champignons ou insectes invisibles et impalpables, ces effluves arrivent sur les nuages ou dans les flots avec les grands courants du ciel et de la mer. Il est bien rare que les maladies qui sont le fléau du golfe du Mexique, arrivent à la Guyane française. La Guyane anglaise, qui en est plus voisine, en subit parfois l’influence, tandis que la Guyane française est tributaire des épidémies du Brésil qui remontent la côte américaine avec les vents et les courants généraux. C’est ainsi que l’épidémie qui décima le Brésil vint s’abattre à Cayenne en 1848 et y fit de nombreuses victimes.

De 1819 à 1847, la moyenne annuelle de la mortalité des troupes de la Guyane anglaise fut de 8, 40 pour 0/0, tandis qu’à la Guyane française, pendant le même laps de temps, elle ne dépassa pas 2, 81. Cette différence énorme est expliquée par le caractère essentiel des deux peuples. Si l’odeur des végétaux en floraison ou en décomposition est un poison mortel pour l’Européen, l’abus des plaisirs et l’intempérance le frappent tout aussi sûrement. L’homme n’a souvent d’autre ennemi que lui-même.’En résumé, de l’insalubrité indéniable de certains points de la Guyane, il serait injuste de conclure à l’insalubrité absolue et universelle du pays, comme il serait absurde de juger de l’Italie par les marais Pontins, de la France par la Sologne. Il y a dans la Guyane des lieux insalubres et des lieux fort sains. Il s’agit de borner la colonisation à ces derniers points et de n’attaquer les autres que partiellement et avec une extrême réserve.

Somme toute, on peut vivre à la Guyane comme ailleurs. On y voit des vieillards dans toutes les classes de la société et dans toutes les couleurs, parmi les créoles et parmi les Européens. Il faut observer dans l’hygiène quelques précautions, mener une vie sobre et régulière, ne pas s’exposer au grand soleil, ce qui n’exclut pas