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Me voilà donc à la Guyane, en ce pays dont le décret du 8 avril 1852 a fait la terre d’expatriation des déportés de toute catégorie ; ce décret n’a fait, du reste, que consacrer une vieille habitude. Il y a toujours ainsi des lieux choisis vers lesquels les gouvernements des sociétés, sous quelque forme qu’ils soient constitués, dirigent ceux qui portent ombrage ou atteinte à la loi. Le Directoire n’a pas été moins dur que la monarchie française aux malheureux bannis.

Les mots déportation, bannissement, relégation, ostracisme, sans être entièrement synonymes, représentent cependant les variations d’une même peine ; l’exil, c’est-à-dire l’expulsion hors du pays.

La déportation qui a frappé de grands citoyens, des ambitieux, des adversaires politiques, des ministres disgraciés, des factieux, des rebelles, des suspects, des sectes religieuses, des familles, des races entières, la déportation qui a été une arme aveugle et cruelle entre les mains de la royauté, de l’aristocratie ou du peuple, a revêtu de nos jours l’appareil de la légalité. Elle s’est substituée à une autre pénalité pour atteindre les criminels vulgaires, pour punir les attentats contre les personnes, pour frapper les voleurs, les faussaires et les assassins, tout en conservant la destination première que lui donnait l’antiquité : celle de punir les attentats contre le gouvernement établi.

Les Anglais sont nos prédécesseurs dans cette voie et


Poisson (au quart de la grandeur naturelle) pris à Saint-Vincent, îles du cap vert (décembre 1861). — Dessin de Rapire d’après une aquarelle de M. Rodolphe.


leurs colonies pénitentiaires de Botany-Bay nous ont encouragés à tenter l’épreuve.

C’est une société à fonder avec des matériaux étranges. C’est en même temps une colonie à relever de ses ruines un cadavre à ressusciter, un principe à reproduire, un avenir à créer avec un élément infécond.

Sans pénétrer jusqu’au fond de ces questions capitales, j’espère pouvoir trouver encore à la surface d’un pays vierge, où la nature est si riche et si bizarre, quelques sujets de récits intéressants et neufs. Et si par hasard l’histoire de la transportation se présente sous ma plume, illustrée de ses drames lugubres et sanglants dont le bruit a passé la mer, je tâcherai de concentrer la morale de mes faits divers dans la sphère exclusive des intérêts de la société coloniale.

On donne le nom de Guyane à cette vaste contrée de l’Amérique équinoxiale qui est comprise entre l’Orénoque, l’Amazone, le Rio-Negro et la mer. Le Rio-Negro qui la limite à l’ouest sert en même temps de trait d’union aux deux grands fleuves qui la bornent au nord et au sud.

Aujourd’hui, ce grand territoire est partagé entre quatre nations : le Brésil, qui, en sa qualité d’héritier du Portugal possède la rive gauche de l’Amazone, et revendique la propriété du pays compris entre ce fleuve et l’Oyapock ; la France, dont les possessions s’étendent