Page:Le Tour du monde - 13.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les deux mains de chacun d’eux puissent se joindre sur les reins de l’autre. Le président de la lutte décerne au vainqueur un morceau d’étoffe blanche ou de couleur, de la grandeur d’un petit mouchoir de poche, et le vainqueur garde cet insigne à la main ou à la ceinture pendant son retour à la tente qu’il habite. Un lutteur qui terrasse plusieurs adversaires dans la même lutte est déclaré à l’unanimité « pehlouvan, » titre qu’il conserve pendant toute sa vie.


Chevaux. — Courses. — Harnachement. — Armement. — Serdars. — Manière de faire la guerre. — Maraude.

Dans la tribu des Tekkés où je me trouvais, les beaux chevaux étaient assez rares, ce qui paraît la conséquence des guerres continuelles que ces nomades ont à soutenir contre leurs voisins.

Il y a deux espèces de chevaux turcomans.

La première, qui seule devrait être désignée sous ce nom, et qu’on appelle tekké, est-elle d’origine indigène ou a-t-elle été obtenue par des croisements ? c’est ce que je n’ai pu savoir au juste ; cependant tout porte à croire au croisement. Ces chevaux sont de moyenne taille, et tiennent de la race arabe, mais ordinairement ils sont plus grands et ont la poitrine moins ouverte ; la tête est fine et bien portée ; l’encolure est assez forte ; ils ont des oreilles de cerf droites et très-mobiles ; l’œil est vif et intelligent, les nazeaux ouverts et le chanfrein un peu busqué, le garrot élevé, le corps proportionné, mais la croupe un peu réprimée ; les jambes sont plutôt longues, fines et nerveuses. Ils n’ont pas de crinière, mais un toupet et une queue longue et fournie. On aurait tort de supposer qu’ils sont naturellement privés de crinière ; ils en ont peu, c’est vrai, mais on l’épile à mesure qu’elle repousse, ou quand ils sont poulains, on la leur brûle avec un fer chaud. La race tekké est dure à la fatigue, légère à la course et facile à la main. Chez les Turcomans du territoire de Marv, elle tend à disparaître ; mais on la trouve en bonne condition chez les Akals, les Fedjens, les Salors et les Saraks.

La seconde race comprend les chevaux de haute taille du Khorassan et des tribus turcomanes situées à ses limites. Il est rare de trouver dans cette race des chevaux parfaits ; leurs défauts consistent soit dans les proportions, soit dans les aplombs, soit dans les pieds dont les sabots sont difformes, étroits ou très-sensibles.

Chez les Turcomans, on trouve aussi la race des yorgha, chevaux moyens, trapus, à crinière épaisse et longue, excellents trotteurs, auxquels on apprend à marcher l’amble. Ils viennent généralement du pays de Harghendy d’où ils tirent leur nom, c’est-à-dire que leur race est originaire des contrées de Khiva et des Kirghis, des bords de l’Aral.

Les chevaux ne sont ferrés par les Turcomans que lorsqu’ils vont marauder sur le territoire persan ou de Hérat ; autrement ils se bornent à tailler de temps en temps la corne qui s’use peu sur un terrain sans gravier.

Les Turcomans ne nourrissent pas leurs chevaux de graisse de mouton, comme on le dit en Perse.

Le poulain est élevé en liberté. Dès qu’il est sevré, on lui donne du vert, de la luzerne, du barbotage de paille presque hachée et cuite avec de la farine ou des fèves cuites, côtes de melon, pastèques, etc. On l’habitue de très-bonne heure au travail en le faisant monter par des enfants dont le poids ne peut le fatiguer ou le déformer.

On le fait travailler à la plate longe, au galop et au pas ; on ne cherche pas à l’exercer à l’allure du trot. Le plus ordinairement, et surtout pendant les grandes marches, le pas relevé ou petit trot est la seule allure des Turcomans.

Les jeunes chevaux sont montés de deux ans et demi à trois ans. L’orge, le sorgho, la paille et la tige hachée du sorgho, sont leur nourriture ordinaire ; on y ajoute des barbotages de paille et de farine.

Mais lorsque les Turcomans veulent préparer un cheval à soutenir une longue campagne, telle qu’une maraude, au lieu d’orge et de sorgho ils lui donnent du blé et même du pain ou des boulettes de pâte de sorgho ou d’orge.

Un Turcoman, qui part en maraude n’emporte avec lui qu’un bissac contenant, d’un côté, l’orge, le blé ou le sorgho du cheval, et de l’autre la farine et le pain du cavalier. Cette provision de l’homme et du cheval ne dépasse guère 25 kilos : elle doit durer quelque fois trente jours ; mais partout ou le Turcoman voit de l’herbe, il fait manger son cheval.

Hommes et chevaux rentrent fatigués, mais rarement en mauvais état.

Hiver comme été, les animaux sont dehors. Dans la première de ces saison son les couvre de feutres qui se nouent sous le cou, croisent sur la poitrine, descendent à mi-jambe, et tombent par derrière jusque sur les jarrets. De plus on creuse une tranchée dans laquelle ils sont à l’abri des grands vents et d’où l’on enlève la neige à mesure qu’elle tombe. L’été les chevaux sont également couverts de feutres qui les protégent contre l’ardeur du soleil ; on leur met un capuchon qui leur cache la tête et le cou.

Le luxe du harnachement consiste en lanières disposées en sous-gorge, en un ou deux colliers larges de deux ou trois doigts, recouverts de lames d’argent formant écailles, des plaques de même métal avec des cornalines enchâssées, qu’on voit aussi sur les cuirs du licol, de la bride et du poitrail.

Les Turcomans ne surmènent jamais le cheval ; ils s’y tiennent obliquement, c’est-à-dire qu’ils effacent l’épaule droite. Aux allures vives, ils ont presque tout le poids du corps sur les étriers ; ils se servent d’un petit fouet en cuir, emmanché d’un morceau de bois de deux ou trois décimètres. Ils exercent les chevaux à tourner court au galop, ce à quoi ils parviennent, non sans tomber souvent.

Les courses ne sont pas régulières ; elles ne se font qu’à l’occasion de fêtes publiques. La distance à parcourir ne dépasse pas un kilomètre. Deux, trois ou six cavaliers au plus se réunissent au point de départ