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fille. On fit la noce dans l’école de Cina, et l’on assure qu’elle fut très-joyeuse.

À peu de distance de la vieille fontaine, en remontant la Costa dei Tintori, nous rencontrons sur notre gauche un petit oratoire. Arrêtons-nous un instant devant sa façade modeste, mais élégante. Bien des pèlerins. sont venus s’agenouiller devant cette porte. C’est ici qu’est née et qu’a vécu sainte Catherine de Sienne ; c’est ici que Jacques Benincasa, son père, avait sa boutique. de teinturier.

Le nom de cette femme extraordinaire se trouve lié aux plus grands événements de son temps. C’était au commencement du pontificat de Grégoire XI (1376). Les Florentins, irrités contre le cardinal de Saint-Ange, légat à Bologne, qui avait poussé quelques-unes de leurs villes à se soustraire à l’obéissance de la république, firent répandre dans les pays soumis au pape des drapeaux sur lesquels on lisait le mot libertas. Aussitôt, presque toutes les villes du saint-siége, Rome comprise, se soulevèrent ; Bologne reprit son gouvernement populaire. Le pape alors leva une nombreuse armée de Bretons et en confia le commandement à Robert, cardinal des douze apôtres, légat apostolique. Ce prélat attaqua Bologne et commit des cruautés inouïes pour convaincre les rebelles qu’ils avaient eu tort de se soustraire au joug paternel du pontife. Les Florentins ayant envoyé quelque secours à Bologne, le pape les excommunia, autorisant tout chrétien à les réduire à l’esclavage, et à s’approprier leurs biens et leurs marchandises. En Angleterre, même en France, plusieurs marchands florentins perdirent de la sorte toute leur fortune ; les Génois et les Pisans se seraient aussi bien accommodés de la générosité du saint-père ; mais, craignant les représailles des Florentins, ils respectèrent leurs personnes et leurs biens : ce qui leur valut d’être à leur tour excommuniés par le saint-siége.

C’est dans ces circonstances que Catherine Benincasa sort tout à coup du calme de sa modeste cellule et apparaît au milieu des grands intérêts qui agitaient l’Italie et toute la chrétienté. Envoyée par les Florentins en ambassade à Avignon pour les réconcilier avec Grégoire, non-seulement elle remplit sa mission et empêcha le schisme, mais elle trouva encore moyen de faire accepter au pape ses conseils, et par ses encouragements et ses reproches, le détermina enfin à revenir à Rome, où la papauté rentra en effet le 17 janvier 1377, après soixante-dix ans passés à Avignon.

Voici ce que la sainte écrivait à Grégoire XI. Ses lettres s’ont de 1376 :

« Le mal qu’ont fait les sujets est causé par les mauvais pasteurs. — Vous avez eu la révolte par la faute des mauvais pasteurs et recteurs. » Elle appelle les légats que le pape envoyait en Italie, « hommes sanguinaires, bourreaux des sujets, qui sont pourtant leur prochain. » Elle s’étonne « que Dieu n’ordonne pas aux pierres de se révolter contre eux. » — « Il y a deux raisons, observe la sainte, pour lesquelles l’Église a perdu et perd les biens temporels, c’est-à-dire la guerre et le manque de vertu. » — Elle blâme le Pape de ce qu’il « dépense le bien des pauvres en soldats, qui sont mangeurs d’hommes. »

Sur cette question : le pape doit-il chercher à recouvrer par la force le pouvoir qu’il a perdu ? — Sainte Catherine répond :

« Hélas ! il ne paraît pas que Dieu veuille que nous soyons attachés à la fortune temporelle au point de ne pas voir la perte des âmes et la honte de Dieu qui sont les suites de la guerre. Celui qui aime l’honneur de Dieu et le salut de ses ouailles, celui qui veut les racheter des mains du démon, doit donner non-seulement son bien, mais aussi sa vie corporelle. — Vous direz peut-être, saint-père : Je suis tenu par conscience de recouvrer tout ce qui appartient à la sainte Église. Hélas ! j’avoue que c’est vrai ; mais on doit surtout chérir ce qui est le plus précieux. Le trésor de l’Église est le sang du Christ, donné pour racheter les âmes ; ce trésor de sang n’a pas été donné pour la domination temporelle, mais pour le salut des générations humaines. Supposons donc un instant que vous soyez tenu de conquérir et conserver le trésor et la domination des villes que l’Église a perdus ; d’autant plus êtes-vous tenu de reconquérir les âmes, qui sont le trésor de l’Église, qui s’appauvrit de trop en les perdant. Il vaut mieux laisser échapper l’or des choses temporelles que l’or des choses spirituelles. Il vous faut choisir entre deux maux, celui de la perte des grandeurs, domination et fortune temporelles, que vous vous croyez obligé de reconquérir, et le mal de la perte de la grâce des âmes et de l’obéissance qu’elles doivent à Votre Sainteté. Vous verrez bien que vous êtes plus tenu de reconquérir les âmes. » — Laissant de côté le soin des choses temporelles, attachons-nous aux spirituelles. — « On ne rendra pas sa beauté à l’Église ni avec le couteau, ni avec cruauté, ni avec la guerre, mais avec la paix. » — « Vous les battrez mieux (les insurgés) avec la verge de la douceur, de l’amour et de la paix, qu’avec la verge de la guerre ; c’est ainsi que vous pourrez recouvrer ce qui vous est dû spirituellement et temporellement. — « Notre doux Sauveur vous ordonne de lever l’étendard de la croix contre les infidèles et de porter contre eux seuls tous les maux de la guerre. » — « Retenez les gens que vous avez enrôlés pour venir ici, et empêchez-les de venir ; puisque autrement vous ne feriez que nuire au lieu d’améliorer. » — « Et faites attention, autant que vous aimez la vie, de ne pas venir avec beaucoup de soldats, mais la croix à la main, comme un agneau doux et paisible. En agissant de la sorte, vous remplirez la volonté de Dieu. »

C’était avec cette noble liberté que la fille de Jacques le teinturier parlait au pontife. Pie II l’appela, en 1461, à l’honneur des autels ; Pie IX, en 1857, visita son habitation, aujourd’hui convertie en église. Il se prosterna et pria longtemps dans la chambre où elle écrivait, au nom de son doux Sauveur, ces lettres sévères qui comptent déjà cinq siècles, et que l’on pourrait croire datées d’hier.

Sainte Catherine est aussi une célébrité littéraire. Sa