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Le Turcoman, quoique affectant beaucoup de dignité dans ses allures, est gai, insouciant et enthousiaste quelquefois. Dans ces moments-là il oublie ses mauvais instincts de rapacité et d’avarice et se montre généreux. Il est brave, intelligent.

Le vol semble malheureusement une loi de sa nature. L’enfant vole sa mère, la femme vole son mari, le frère vole sa sœur, mais tout cela en famille, car au dehors tout le monde est sur ses gardes ; un individu surpris à voler dans une tente est presque à la merci de celui qui le découvre, et il est à jamais déshonoré dans sa tribu.

Lorsque les Turcomans ont des difficultés ou des intérêts à débattre et qu’ils ne peuvent tomber d’accord, ils s’en rapportent au jugement des anciens ou d’un kazi (mollah).

Un marché entre Turcomans est interminable ; ce n’est quelquefois qu’après deux ou trois mois de discussion que l’on arrive à conclure, mais une fois le marché terminé et accepté on en remplit loyalement les conditions, même si l’affaire est désavantageuse ; bien entendu il n’en est pas de même vis-à-vis des ennemis et des prisonniers.

Cependant les Turcomans apprécient la loyauté et la franchise. « Si la parole d’un Européen, disent-ils, arrive jusqu’à la ceinture, celle d’un Turcoman monte jusqu’à la barbe. »

Chacun d’eux aime sa tribu et se dévoue au besoin pour la communauté. Leurs manières décentes et empreintes d’une certaine gravité ne peuvent être comparées à celles des peuples voisins, même des Boukhariens et des Khivaiens, chez lesquels la corruption des mœurs est arrivée à un triste degré.

J’ai rarement vu de querelles et de scandales chez les Turcomans. Quelquefois j’ai assisté à des discussions très-vives et très-animées, mais jamais je n’ai entendu d’injures grossières ni de mauvais mots comme dans les autres pays. Ils sont aussi moins durs vis-à-vis de leurs femmes que les Persans et ont plus de considération et de respect pour elles.

Lorsqu’il y a des étrangers dans la tente, les femmes passent seulement un coin de leur voile sur le bas de leur menton et parlent en baissant la voix, mais cela n’empêche pas qu’elles ne soient saluées et respectées par les visiteurs, avec lesquels elles causent sans qu’on y trouve aucun mal.

Une femme peut aller d’une tribu dans une autre, parcourir un chemin long et isolé, sans jamais avoir à craindre la moindre insulte de qui que ce soit.

Le Turcoman en visite a une manière de se présenter qui ne varie jamais. Il lève la portière de la tente et se baisse en entrant, s’arrête et se redresse de toute sa hauteur ; après une pause de quelques secondes pendant laquelle il tient ses regards fixés sur la voûte de la tente, probablement pour donner aux femmes le temps de se cacher le menton, il prononce le salut sans faire aucun geste. Les échanges de civilités et les informations réciproques de la santé des parents, des amis et de la tribu terminés, le maître de la tente prie le visiteur de venir prendre place sur le tapis et à côté de lui. Aussitôt la femme présente la serviette, du pain, puis le pain et l’eau, ou du lait aigre, ou des fruits. L’étranger, par discrétion, ne prend que quelques bouchées de ce qu’on lui offre.

H. de Blocqueville.

(La fin à la prochaine Livraison.)