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ralement de trois mètres de long sur un mètre et demi de large, sont bien faits et solides. Chaque tribu ou famille à son dessin particulier qui se transmet de mère en fille et ainsi de suite. Il faut vraiment que ces Turcomanes soient constituées vigoureusement pour résister à tout ce travail pendant lequel parfois elles allaitent leurs enfants et ne mangent que du pain sec ou une sorte de bouillie peu substantielle. C’est surtout le travail de la meule qui les fatigue et leur affaiblit la poitrine.

Dans leurs rares moments de loisir, elles ont toujours un paquet de laine, de poil de chameau ou de bourre de soie qu’elles filent en causant ou en se promenant chez les voisines, mais elles ne restent jamais sans rien faire comme les femmes de certains pays musulmans.

L’homme a aussi son genre de travail déterminé ; il s’occupe du labourage, de la culture, rentre la moisson, soigne les animaux domestiques, va de temps en temps à la maraude pour rapporter du butin. Il fait la corde en laine à la main, taille et coud tout ce qui se rapporte au harnachement et à la couverture des chevaux ou chameaux, essaye d’un peu de commerce, et, dans ses moments de loisir, se fabrique une coiffure ou des chaussures, joue de la doutare (deux cordes), chante, boit du thé et fume.


Amour de l’instruction. — Religion. — Superstitions. — Le Cauda-yoli. — Caractère.

On remarque chez ces peuplades une grande envie de s’instruire et de lire les quelques livres que le hasard fait tomber entre leurs mains.

Généralement les enfants ne travaillent guère avant leur dixième ou douzième année.

Jusqu’à cet âge, leurs parents les forcent à apprendre à lire et à écrire ; ceux qui ont besoin de se faire aider par leurs enfants pendant les travaux de l’été, ont grand soin de leur faire regagner le temps perdu pendant l’hiver.

Le maître d’école, mollah (prêtre ou lettré), se contente de quelques cadeaux, soit en nature, blé, fruits ou oignons ; soit en espèces, selon la position des parents. Chaque enfant a une planchette sur laquelle le mollah écrit l’alphabet ou la leçon, et à mesure que l’enfant a appris sa leçon on lave la planchette.

Les parents s’assurent si les enfants savent leurs leçons avant qu’ils ne se rendent à l’école ; les femmes surtout tirent une certaine vanité de ce qu’elles savent lire. Les hommes passent quelquefois des journées entières à essayer de comprendre les livres de poésies venant de Khiva ou de Boukhara dont le dialecte diffère un peu du leur.

Les mollahs turcomans vont passer quelques années dans ces villes afin d’étudier dans les meilleures écoles.

Mon aga et son frère voulaient absolument que je leur apprisse ma langue, et toutes les fois qu’ils me voyaient écrire pour mes affaires, ils employaient une demi-journée à imiter mon écriture et à me supplier de l’enseigner à eux ou à leurs enfants.

Toutes ces peuplades sont musulmanes et de la secte sunnite. Comme on le sait, la différence extérieure entre eux et les Persans de la secte schiite, qui reconnaissent Ali pour seul successeur de Mahomet, consiste dans la manière de prier et de faire les ablutions.

Pendant la prière, ils tiennent les deux bras croisés devant eux à partir du poignet seulement, au lieu de les tenir sur le côté comme les Persans.

Quoiqu’ils observent assez régulièrement les préceptes de leur religion, il y a chez eux moins de fanatisme ou d’ostentation dévote que dans les autres contrées d’Orient que j’ai été à même de visiter. Par exemple, ils ne dédaignent pas de fumer et de manger avec les Juifs.

Dans les premiers temps, mes hôtes me promettaient toutes sortes d’avantages, si je voulais me faire musulman et me fixer dans le pays par un mariage. Pour me débarrasser de leurs instances, je leur demandai de quel œil ils verraient un musulman changer de religion. Ils comprirent et ne me parlèrent plus sur ce sujet.

Les Turcomans portent des amulettes ou des versets du Khoran, écrits par des mollahs reconnus vertueux, qu’on appelle tébibs, et qui s’occupent aussi de traiter les malades au moyen de versets du Khoran ou daha (souhaits). La prière est ordinairement cousue dans un morceau de cuir triangulaire ou placée entre deux plaques d’argent de la même forme ; ce triangle est ensuite cousu soit sur la calotte, soit sur la chemise ou toute autre partie du vêtement. Les enfants en sont couverts, et portent même des griffes d’oiseaux montées en argent et destinées à combattre le mauvais œil. Les chevaux, les chameaux, les moutons ont aussi des amulettes au cou ; la tente en à une ou plusieurs.

Les Turcomans étaient persuadés que je devais avoir, en ma qualité de franghi et d’étranger, le pouvoir de guérir ou de donner des amulettes ayant la vertu de faire réussir telle ou telle entreprise. Une fois, pour me débarrasser de trois ou quatre visiteuses, je fus obligé de faire une amulette tout en persuadant à ces femmes que cela ne servirait à rien, et que dans mon pays on n’avait pas cette coutume. Elles me répondirent que cela ne me coûtait rien à faire et qu’elles y avaient foi.

Tous les ans il est de coutume de donner un grand festin religieux, le Cauda-yoli (cauda, Dieu et yol, chemin, voie). Cet usage a pour but d’honorer Dieu ou de se rendre le ciel propice, de façon à ce qu’il préserve la famille et le bétail de la maladie, qu’il fasse réussir les entreprises et surtout les maraudes, considérées comme œuvres méritoires parce qu’elles sont dirigées contre des mécréants.

Chacun prépare ce repas selon ses moyens. Si c’est une famille riche qui donne le Cauda-yoli, elle tue pour ce seul jour une dizaine ou une quinzaine de moutons, et se fait aider pour la cuisine par ses voisins et ses amis. On met en réquisition les marmites, les plats, enfin tous les ustensiles qu’on peut trouver. Les marmites sont rangées sur une ligne droite et confiées aux soins des meilleurs cuisiniers. D’autres hommes se chargent de briser le pain et de préparer les plats et