Le chourouè (soupe) se fait ainsi : la femme met une poignée de viande fraîche ou salée dans le fond de la marmite. Bientôt l’odeur se répand et quelques voisines, le fuseau à la main, viennent sous un prétexte quelconque entamer la conversation et s’asseoir. Chacune à son tour prend la cuiller en bois et, après avoir remué la viande en train de roussir, lèche toute la graisse restée sur la cuiller. Dès que la viande a rendu assez de graisse pour donner une teinte luisante à la marmite, la maîtresse de la maison en prend une certaine quantité avec les mains et en offre aux personnes présentes, tout en gardant, bien entendu, le meilleur morceau pour elle ; après quoi elle verse une ou deux cruches d’eau sur ce que la rapacité du cercle a bien voulu laisser dans la marmite, et elle y ajoute du sel, du piment et quelques morceaux de potiron. Après quelques instants d’ébullition on verse cette espèce de consommé dans de grands plats en bois où l’on a préalablement brisé du pain.
Avant le repas, on est tenu de se laver les mains ; il semble que ce soit pour la forme seulement, car il faudrait autre chose que de l’eau pour les nettoyer.
Dès que l’on juge que la soupe est suffisamment trempée, le maître de la famille donne le signal de prendre place autour des gamelles en prononçant le Beom Allah (ou nom de Dieu). Les hommes mangent de leur côté, à part des femmes et des enfants. On savoure d’abord quelques cuillerées du bouillon presque totalement absorbé par le pain, ensuite on pêche avec les mains, chacun à son tour et à sa place, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Alors on reprend la cuiller que l’on se passe mutuellement et au moyen de laquelle on absorbe le restant du liquide. Il s’agit surtout de saisir avec les mains le plus d’aliment possible et de ne pas chercher à égayer le repas par une conversation intéressante ou autrement, car l’habitude est de manger très-vite.
Meule turcomane. — Dessin de Thérond d’après un croquis de M. de Blocqueville.
Le repas terminé, on se lèche les doigts et on se frotte les deux mains jusqu’aux poignets de manière à ce qu’elles soient également graissées ; ensuite on les passe sur la figure, afin de donner du luisant et de la souplesse à la peau ; une troisième opération consiste à faire la même chose sur les pieds ou sur les bottes quand on les a aux pieds ; aussi est-il facile, à l’inspection des bottes d’un Turcoman, de savoir s’il fait grasse ou maigre cuisine.
Après avoir laissé le temps à chacun d’oindre son individu de la graisse restée sur ses mains, le plus ancien de la réunion lève les siennes qu’il tient étendues à hauteur de sa figure, et prononce le « Beom Allah, alrahman alrahim, Allah ekber (Dieu est grand), » après quoi tous les convives passent leurs mains à plusieurs reprises sur le bas de la figure, les hommes prolongeant la passe jusqu’à l’extrémité de la barbe.
Plus tard, lorsque j’eus une tente pour moi seul et que, le soir, j’allumais un lampion chez moi, chose assez rare, mes voisines venaient successivement tremper leurs doigts dans mon huile ou faisaient fondre un petit morceau de graisse de mouton à la flamme, et avec cette graisse noircie soignaient la figure ainsi que celle de leurs enfants : c’est ainsi qu’elles remplacent la poudre de riz.
L’espèce de serviette sur laquelle on a mangé et qui renferme le pain est repliée après le repas. Souvent on porte à la place où l’on va faire la sieste, un os, si l’on a eu le bonheur d’en trouver un dans sa part, et on l’y ronge pour se distraire ; si c’est le maître de la maison, il se contente de le grignoter un peu et le passe à sa femme qui le repasse ensuite à l’enfant : à son tour le chien, qui guette d’un œil inquiet le passage de l’os d’une main à une autre, finit par s’en emparer et fait ce qu’il peut pour en tirer encore quelque chose.
Après le repas on fume le tchélèm (pipe d’eau), qui ressemble au narguilé. La carafe, au lieu d’être en verre, est en bois, et à la forme d’une gourde, ou