Page:Le Tour du monde - 13.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quefois assistance en s’envoyant quelques centaines de cavaliers.

La population des Tekkés de Marv est divisée en vingt-quatre tribus, dont voici les noms : Barhchi, Bourkhasse, Soultan-Asis, Dachayah, Thèl-Teck, Mirich, Kara-Rhemet, Topoze, Pèreng, Aleye-Djevvez, Keur-Saghry, Hadji-Sophi, Gueuktché, Amanchah, Kongour, Khar, Yousouf, Kara, Arekh, Khalil, Beukeuri, Khareun, Yezdi et Kara-Dja.

Ces tribus sont fixées chacune sur le terrain qui lui est échu en partage ; elles ne se réunissent dans une même grande enceinte qu’aux jours de danger. Toute tribu nomme elle-même son chef ou maire (Kedkouda, appelé aussi Riché-Séfid, barbe blanche). Quoique dans ces tribus il se trouve des Khans, appartenant à d’anciennes familles et qui exercent une certaine influence, ils ne sont nommés chefs de tribu que s’ils ont les qualités nécessaires.

On choisit pour Kedkouda un homme intelligent, aussi probe que possible et capable de défendre les intérêts de la tribu. Ces Kedkoudas se réunissent souvent et délibèrent sur les mesures à prendre en cas de guerre, d’excursions, etc., sur le partage des eaux d’irrigation, sur la construction des digues et des canaux, enfin sur tout ce qui peut être d’une utilité générale.

L’un de ces Kedkoudas, Khonchid-Khan, est en possession d’une certaine suprématie qu’il doit à son intelligence astucieuse et, au besoin, plus politique que celle des autres. Quoiqu’il soit reconnu comme le descendant de la plus ancienne ou plus considérable famille de la race tekké, il ne peut cependant agir contre la volonté générale ; car les Turcomans, tout en reconnaissant tel ou tel d’entre eux pour chef, n’en conservent pas moins une égalité et une liberté entières.

Chez ces nomades, qui ont si peu de pitié pour leurs ennemis, il existe une cordialité et une entente que l’on ne rencontre guère ailleurs.

Entre le berger et le chef il n’y a point de différence ; tout individu a le droit de donner son opinion dans le conseil qui se tient en public. Le domestique quoique agissant selon les ordres du maître, reste sur le pied de l’égalité et est regardé presque comme faisant partie de la famille.


Habitation. — Inauguration de la tente. — Nourriture. — Travaux.

L’habitation du riche comme celle du pauvre est disposée et meublée de la même manière ; seulement chez le premier elle est mieux entretenue[1].

L’installation d’une tente neuve est l’objet d’une cérémonie ou fête. La charpente ou treillage en bois neuf est toujours d’un prix qui varie entre dix et quinze tomans tekkés. Quelques jours avant l’inauguration on prévient les amis, les voisins, qui se présentent au jour fixé.

La tente a été montée sans être recouverte par les feutres. On y a disposé une partie du mobilier consistant en tapis, objets divers et sacs aux provisions ; quelques morceaux d’étoffe de coton ou de soie de diverses couleurs sur lesquels sont fixées des plumes, servent à la décoration de la charpente et sont attachés à une hauteur qu’on ne peut atteindre sans prendre un élan.

Une fois tout le monde réuni, on visite la nouvelle habitation ; chacun fait ses remarques sur les avantages ou les défectuosités de la tente, et les hommes les plus agiles se livrent à l’exercice d’arracher ou d’enlever les morceaux d’étoffes suspendus à la partie supérieure. Puis on commence les luttes, les courses à cheval, on fait usage de fusils et de pistolets en tirant sur un but devant lequel on passe au galop.

Vient ensuite l’heure du repas, car, dans une semblable circonstance, on tue des moutons ou l’on prépare du riz pour tous les invités ; on termine la soirée en buvant du thé, en fumant et en écoutant les musiciens que le propriétaire de la nouvelle habitation a fait venir.

Le maître de la tente se tient habituellement dans le milieu du fond, devant le feu et en face de l’entrée. La femme ou les femmes tiennent le côté de droite en entrant ; les hommes ou visiteurs se placent a gauche, c’est-à-dire à la droite du maître de la tente. Une sangle assez solide, passant dans le treillage du cercle qui forme clef de voûte et tombant dans l’intérieur à hauteur d’homme, sert à donner de la solidité à la couverture qui parfois est ébranlée par l’orage. Un sac de blé ou quelque autre poids est attaché à la sangle, car le vent souffle aussi quelquefois avec une telle violence qu’on est obligé d’enlever les feutres de la couverture.

Ceux des Turcomans qui ont des lances, les placent verticalement dehors et près de l’entrée de la tente. Les animaux vivent près et devant l’entrée de la tente, été comme hiver. Dans cette dernière saison on creuse une fosse, quelquefois recouverte et assez profonde, pour les garantir du vent.

La nourriture des Turcomans est à peu près la même pour tous. Le repas du matin se compose de pain sec et, d’oignons ou de soupe, selon les moyens de la famille. Presque tous les Turcomans ont près de leur tente un mouton ou une chèvre qu’ils engraissent et qu’ils tuent dans les grandes circonstances. La viande est désossée, coupée par morceaux et salée ; une partie est desséchée et prend un goût faisandé dont les Turcomans sont très-friands ; l’autre portion, coupée en morceaux plus petits et placée dans la panse de l’animal, est destinée de temps à autre à faire le bouillon. On réunit tous les os et débris et on les fait cuire dans une ou plusieurs marmites, de façon à pouvoir donner, le jour d’un grand repas, du bouillon à tous les voisins et amis. Les intestins sont le partage des enfants, qui les font griller sur les charbons et passent des journées entières à traîner et à sucer ces boyaux à peine lavés.

  1. Voyez aussi sur les tentes turkomanes la relation de Vambéry.