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kilomètres et demi. Le P. Della Valle dit y être descendu la nuit et les avoir parcourus sur un espace de trois milles ; il fut frappé de la beauté des stalactites qui brillaient à la lueur des torches, et faisaient aux voûtes une superbe décoration naturelle. Le grand-duc Côme Il voulut aussi visiter ces souterrains pour en admirer la magnificence et se rendre compte des obstacles qu’on avait eu à surmonter dans leur construction ; il en sortit tout étonné d’avoir trouvé, comme il dit, une Sienne au-dessous de l’autre.

Après l’incomparable Fonte Gaja, il faut noter, comme un échantillon de l’architecture siennoise du quatorzième siècle, la Fonte Nuova, près de la porta Ovile, dessinée par Camaino. Mais la fontaine qui de préférence à toutes les autres réclame notre attention, c’est la célèbre Fonte Branda. Qui dit Fonte Branda dit Sienne. Les Siennois en sont fiers ; Alfieri l’a célébrée dans un sonnet. Cependant, quand on veut taxer quelqu’un de la légèreté qu’on attribue proverbialement aux Siennois, on demande volontiers s’il a bu de l’eau de Fonte Branda.

Cette fontaine existait déjà en 1081 ; seulement il paraît qu’à cette époque elle était située un peu plus haut sur la côte dont à présent elle baigne le pied, et qu’elle fut transportée, en 1193, à l’endroit où elle est aujourd’hui. Après avoir emprunté son nom à une famille Brandi, elle a ensuite donné le sien à l’étroite vallée qui sépare les deux collines sur lesquelles sont assises, en face l’une de l’autre, la cathédrale et l’ancienne église de Saint-Dominique. Les Fontebrandini, presque tous tanneurs, jouissent d’une réputation de gens fiers, et sont à peu près à Sienne ce que les Transteverins sont à Rome.

Fonte Gaja. — Dessin de H. Catenacci d’après une photographie.

Du fond de ce vallon le panorama est magnifique. Au-dessus de la fontaine, au sommet d’un rocher escarpé, s’élève, sombre et majestueuse, l’église de Saint-Dominique, dont la tour crénelée semble se pencher sur le bord du précipice pour regarder le paysage qu’elle surplombe. De l’autre côté brillent au soleil le dôme et la façade émaillée de la cathédrale, qui couronne la colline d’en face, revêtue jusqu’au sommet de maisons et de palais, alternant avec des jardins.

L’ancienne fontaine, avec ses arcades surbaissées en briques, toute parée qu’elle soit du nom de Bellamino, le plus ancien des architectes siennois qu’on connaisse, et qui la répara et l’agrandit en 1198, ne me semble pas, à vrai dire, un monument fort imposant. Elle est seulement remarquable par la richesse de ses eaux, qui, après en avoir rempli le vaste bassin, passent dans de grands réservoirs pour servir aux industries de ce quartier et mettre en mouvement quelques moulins.

Avant de prendre congé des eaux paisibles qui dorment à l’ombre des voûtes séculaires de Bellamino, permettez-nous de vous conter une anecdote assez singulière qui s’y rattache. — Cino du Pistoja, ce poëte jurisconsulte dont Pétrarque a pleuré la mort dans un sonnet célèbre, était, en 1335, professeur à l’université de Sienne ; il eut l’étrange idée de promettre la main de sa sœur, jeune fille d’une rare beauté, à celui de ses élèves qui aurait le mieux résolu une question de droit. Or, le hasard (la plus moqueuse des divinités) voulut que le vainqueur dans cette lutte intellectuelle, fut loin de ressembler aux jeunes athlètes brillants de force et de beauté que les jeunes filles de la Grèce couronnaient de leurs mains et que Pindare élevait aux cieux dans ses hymnes immortels. C’était un nommé Mario d’Asciano, borgne et si contrefait, que la pauvre enfant voulut se soustraire à l’hymen qui la menaçait, en se jetant dans les eaux de Fonte Branda. Mais l’amant dédaigné, qui ne perdait pas de vue celle qu’il considérait comme son bien légitime, s’élança après elle dans la fontaine, lui sauva la vie, et eut l’inespéré bonheur devoir son dévouement récompensé par l’affection de la belle jeune