Page:Le Tour du monde - 13.djvu/244

Cette page n’a pas encore été corrigée


il nous était absolument impossible de faire usage des quelques armes qui nous restaient : nos munitions étaient d’ailleurs imbibées d’eau.

Il fallut nous rendre. Les Turcomans nous aidèrent à sortir du canal et nous invitèrent à monter derrière eux en croupe, ce que nous acceptâmes ; car ceux des prisonniers qui étaient à pied, et il y en avait beaucoup, étaient menés rudement, les mains liées derrière le dos et un nœud coulant au cou.

Tout le reste de l’armée était en fuite. Il m’est difficile de dire quel fut le nombre de Persans tombés au pouvoir des Turcomans ; à coup sûr, il dut être considérable.

Le prince, oncle du roi, et Gowam-doowet étaient parvenus à se réfugier à Marv. Ils furent conduits à Téhéran par ordre du roi et n’échappèrent au sort qui semblait leur être réservé qu’à prix d’argent. En Perse, c’est la manière de se tirer de tout.


III

LA CAPTIVITÉ


Ma captivité chez les Tekkés. — Tentatives inutiles pour mon rachat. — Départ des prisonniers pour Boukhara. — Ma misère. — Condition plus tolérable.

À mon arrivée dans la tente de l’aga tekké dont j’étais le prisonnier, je trouvai cinq ou six Persans qu’on venait aussi d’y conduire.

On nous fouilla minutieusement. Les boutons de nacre de ma veste de chasse furent enlevés par les femmes, qui en ornèrent les coiffures de leurs enfants.

Une partie des hommes de la famille resta pour nous


Intérieur de l’enceinte de Marv. — Dessin de A. de Bar d’après un croquis de M. de Blocqueville.


garder ; les autres retournèrent à la poursuite des Persans.

Les femmes ajoutèrent un peu d’eau à leur soupe, et on nous fit manger ; après quoi nous restâmes, livrés à nos réflexions, jusqu’au soir. Alors nous fûmes enchaînés de manière que trois pieds d’individus différents étaient réunis dans la même entrave ; une menotte servait pour deux, et une longue chaîne tenant par chaque bout l’un des prisonniers liés aux autres fut fixée à travers le treillage de la tente, à un pieu éloigné.

Attachés de cette façon incommode, nous n’eûmes pour matelas que quelques morceaux de feutre. Mes camarades sanglotaient. Je ne dormis pas.

Pendant le jour, nous restâmes liés deux par deux ; il n’y avait pas assez de chaînes pour tout le monde.

Le soir on voulut me mettre la chaîne au cou : je protestai que je ne me laisserais pas traiter ainsi, préférant mille fois, m’écriai-je, avoir la tête tranchée ou recevoir une balle.

Cette résolution fit sourire les Turcomans qui s’avancèrent vers moi ; exaspéré comme je l’étais, je me jetai sur le premier venu, que je frappai et terrassai d’un seul coup. Mais les autres tombèrent sur moi, et je fus assommé, puis étroitement lié.

Le matin, on me laissa encore plusieurs heures enchaîné. Un des anciens de la famille vint près de moi et me fit comprendre, en persan, que je devais prendre patience ; que, dans quelques jours, on me laisserait libre ; mais que jusque-là on était obligé, vu la grande quantité de prisonniers, de prendre des précautions, surtout pendant la nuit ou une révolte aurait pu réussir, car une grande partie des Tekkés étaient encore à la poursuite des Persans ; il ajouta que si je voulais m’apaiser on me détacherait bientôt.

La première quinzaine terminée, on fit des préparatifs de départ pour Boukhara et Khiva, où l’on avait hâte de vendre les prisonniers qui, si peu nourris qu’ils fussent, devenaient une charge.

Le plus grand nombre des prisonniers furent attachés deux par deux, trois par trois, ou même quatre par