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fectif devait monter à trente mille hommes, n’en comptait réellement que douze à quinze mille à son entrée en campagne. Encore faut-il défalquer de ce chiffre le nombreux personnel attaché à chaque chef en qualité de domestiques, chameliers, etc., tous pris dans les divers régiments.

Un régiment qui devait être de mille hommes n’en avait au plus sous les armes que quatre ou cinq cents.

La première colonne avec laquelle je partis, commandée par le prince Djausous Mirza, quitta le campement général de Kalyaghouti pour se mettre en marche dans la direction de la vallée d’Arderbend, habitée autrefois par la tribu des Temouris, race turcomane dont une partie occupait aussi le territoire de Sarraks. Ils sont aujourd’hui sujets de la Perse, leur alliance avec cet État les ayant obligés de se retirer dans le centre du Khorassan.

Le Pol schaï, ou rivière de Thous, prend sa source dans les montagnes aux environs de Méched, et passe par les ruines de l’ancienne ville dont elle porte encore le nom. Après avoir perdu une grande partie de ses eaux dans les irrigations, elle se dirige vers la vallée d’Arderbend, où elle se grossit de plusieurs sources d’eau saumâtre qui donnent à la sienne un goût détestable, puis elle vient se jeter suivant la direction de l’est dans le Tedjen ou rivière de Hérat.

Nous vîmes sur son cours, étroitement encaissé, le village de Karabaghra entouré de fortes murailles qui le protégent contre les attaques des Turcomans, et, un peu plus loin, un village du même genre, mais ruiné, dont les habitants avaient été enlevés, quelques mois auparavant, par une maraude turcomane.

Nous rencontrâmes tour à tour : — Tchargombez (quatre dômes), ruine près du cours d’eau ; — Mouzderan, fort placé sur la crête de la montagne, et visible des bords de la rivière ; il garde le passage de la montagne contre les Turcomans : (cette route conduit aussi à Sarraks, et elle est plus courte que celle qui passe par Norouz-Abad ; — Arderbend (porte) qui garde en même temps la route ou défilé de la montagne, et le passage de la rivière, encaissée par des rochers à pic.

À notre passage, ce dernier fort était gardé par un poste de quarante ou cinquante hommes et deux canons. Lors de mon retour, en décembre 1861, il était


Saraks (côté sud). — Dessin de A. ce Bar d’après un croquis de M. de Blocqueville.


abandonné et ruiné ; mais plus bas et dans une position analogue, on avait construit le fort de Surdjé, double poste fort de deux cents hommes à peu près.

Les bords du cours d’eau étaient envahis par les roseaux au point que nos soldats durent y mettre le feu afin de pouvoir approcher des rives : les flammes s’étendaient quelquefois à un kilomètre. Les sangliers, les gazelles et d’autres animaux habitant les hautes herbes, sortaient effrayés par le bruit pétillant de l’incendie et venaient passer dans le camp ou on les recevait à coups de fusil et de sabre.

La première fois que j’assistai à une chasse de ce genre je laissai un sanglier à la place où il avait été tué, me confiant dans l’aversion des musulmans pour cet animal aussi impur, selon eux, que le porc. J’allai à ma tente prendre les ustensiles nécessaires pour découper la bête et en emporter ce qui me conviendrait. À mon retour, je vis un cercle assez nombreux autour de la bête : armé, comme je l’étais, d’un énorme couteau et d’une hache, je pénétrai à travers les curieux ; mon étonnement fut extrême quand j’aperçus un buste humain, vivant mais tout souillé de sang, qui sortait du sanglier. Je demandai pourquoi cet individu, bon musulman sans doute, avait choisi ce singulier gîte. On me répondit que les médecins persans ordonnaient souvent ce genre de remède contre les douleurs rhumatismales, et l’on ajouta : « Cela ne fait rien, monsieur ; si vous voulez manger un morceau de l’animal, ne vous gênez pas. » Je remerciai beaucoup, et m’en allai, remettant à une autre occasion le plaisir de faire un repas de sanglier. Cette occasion ne se fit pas attendre. Mon goût pour la viande impure étant connu, on m’en apporta plus que je n’aurais voulu, et au point qu’à Sarraks j’avais à ma disposition, outre deux gazelles, six marcassins. Nulle part, je n’ai vu de sangliers aussi gras que dans ces contrées.

À Surdjè, nous prîmes la route des montagnes, qui est très-accidentée, pour gagner Norouzabad, fort contenant deux cents hommes environ, et placé, à l’entrée de la plaine de Sarraks, sur la rive gauche de Tedjen.

Cette rivière s’appelle aussi rivière de Hérat, parce qu’elle prend sa source aux environs de cette ville. Son nom de Tedjen lui vient d’une tribu qui habite sur ses bords.

Norouzabad doit être regardé comme la limite du