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qui fût à ma portée. Ce qui en reste atteste son ancienne grandeur et l’élégance avec laquelle il avait été construit. Ce monument, d’après l’opinion de M. Reynaud, serait du dixième ou du onzième siècle de notre ère. On songe peu aux réparations de ces antiques édifices. Parfois, lorsqu’ils sont sur le point de s’écrouler, on rebâtit avec leurs débris quelque chose de moderne, sans caractère et sans solidité.

18 avril. — (cinq farsahks) Maire, très-petit village, situé au milieu de nombreuses ruines que l’on pourrait supposer anciennes, mais qui, comme un très-grand nombre de celles qu’on rencontre dans toute la Perse, ne sont que les restes de villages abandonnés à la suite des exactions des gouverneurs.

Un gouverneur est un fléau. Nos intendants de l’ancien régime étaient loin d’opprimer autant les populations.

Un personnage, qui par sa position actuelle ou passée, peut prétendre à un gouvernement, par exemple un membre de la famille royale (et il doit y en avoir beaucoup, puisque Fethali-Schah seul a laissé plus de deux cents enfants), un tel personnage apprend qu’un poste sera vacant à une certaine époque ; il commence par faire sa cour à tous ceux qui peuvent le lui faire obtenir, c’est-à-dire tout simplement à leur donner des sommes d’argent. Les voies ainsi préparées, il offre au roi un cadeau de 10 mille ou 20 mille tomans, selon l’importance de la place qu’il veut avoir, et, grâce à ces procédés de corruption peu dissimulés, ce qu’il désire lui est toujours accordé.

Ordinairement, un gouverneur de ce genre ne reste guère plus de trois ans dans ses fonctions. Pendant ce temps, il est obligé de fournir l’impôt annuel de son district à la couronne ; de plus, il faut qu’il retrouve tout l’argent qu’il a déboursé pour obtenir sa place ; enfin il doit amasser de quoi vivre selon son rang et sa position pendant l’intervalle oit il restera sans gouvernement, c’est-à-dire cinq ou six ans au moins. Le personnel nombreux, chargé de recueillir pour lui les contributions, prélève en même temps sur les contribuables


Ruines d’un caravansérail près de Mazinan. — Dessin de A. de Bar d’après un croquis de M. de Blocqueville.


ses propres honoraires, ce qui est illimité. L’impôt ainsi perçu est si exorbitant que le paysan laisse souvent sa récolte sur pied, emmène, s’il n’en a déjà été dépouillé, le peu de bétail et les quelques hardes qu’il possède, et va se réfugier avec sa famille dans les montagnes.

Des villages entiers sont de la sorte abandonnés et les terres restent en friche. Plus tard, ces mêmes paysans ou d’autres viennent rebâtir quelques maisons près des emplacements ruinés ; mais on se garde bien d’y faire des plantations ; de là cette nudité que l’on trouve partout ; on ne peut acheter que l’air et l’eau lorsqu’on veut faire acquisition d’un terrain ; la propriété n’existe pas régulièrement.

19 avril. — À Sebzevard, neuf farsahks. Route bonne et directe dans un pays presque plat ; pendant presque tout le trajet, on marche dans la direction d’un énorme minaret, situé à deux farsahks de Sebzevard, et qu’on nomme Cosrouguerd, ainsi que le village qui l’avoisine. Ce monument est isolé au milieu des cultures ; sa base dégradée est assise sur une couche de béton, et par suite du système d’irrigation qui entraîne toujours une partie de la terre, la fondation de ce minaret se trouve au-dessus du niveau de la plaine. Beaucoup de tombes de même nature que la fondation du minaret sont également à la superficie du sol qui autrefois les recouvrait de plusieurs pieds. À l’extérieur, il est d’une conservation parfaite ; j’en voulus monter les degrés et mesurer l’édifice, mais j’en fus empêché par le mauvais état des escaliers. L’inscription était à une trop grande hauteur pour qu’il me fût possible de la copier.

Près de ce monument est situé le tombeau du seid Ismaël, frère de l’iman Reza, et qui est en grande vénération. Des personnes pieuses se font enterrer aux abords de ce tombeau.

On raconte qu’un minaret, très-petit, était situé tout auprès. Les habitants d’un village voisin, appelé Chouré-Delbard, ayant conçu de la jalousie en voyant que ceux de Cosrouguerd possédaient deux minarets, décidèrent de leur en enlever un. Un jour ils se réunirent, rassemblèrent tout ce qu’ils purent trouver de chevaux, bœufs, ânes et cordes, et s’efforcèrent d’entraîner le petit minaret. Il était déjà ruiné en partie et, ne pouvant plus