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Ce n’est pas sans une certaine émotion, au moins sans un sentiment de curiosité, que je vais entrer dans la vie nomade.

Le 4 avril, ma petite caravane se mit en marche dès le point du jour. La route était aride, difficile, la chaleur à peine tolérable : mais le paysage avait assez de grandeur pour distraire la vue. À notre gauche se déroulait la grande chaîne de l’Elbourz, à droite la petite chaîne de montagnes qui borde le désert Salé.

Vers l’après-midi, j’arrivai au village d’Ivanekif, après avoir parcouru la distance de six farsahks.

Le 5, je partis de bon matin. Je portais naturellement mes regards sur la montagne que je devais traverser ; bientôt je ressentis dans les yeux une fatigue dont je ne pouvais me rendre compte ; il me semblait voir des étincelles comme si le sang s’était fortement porté à la tête. J’attribuais cet effet à la réverbération du soleil sur les terres blanchâtres qui ressemblent à des champs de neige. Je cessai de regarder l’horizon ; mais, quand j’approchai du versant de la montagne, je vis du cristal de roche parsemé de tous côtés, ce qui m’expliqua la sensation désagréable que j’avais éprouvée.

En suivant un petit cours d’eau saumâtre, qui suit tout le défilé et laisse en beaucoup d’endroits des croûtes de sel de l’épaisseur de quatre centimètres, j’arrivai à un endroit où l’écho se répète jusqu’à quatre fois et à des intervalles assez longs. Près de là est une ruine de forteresse ou de caravansérail, de forme carrée, flanquée de six tours, et en pierres bien maçonnées ; ce genre de construction est rare ; j’en ai rencontré un autre cependant, sur lequel j’ai recueilli une inscription coufique.

Après le passage du défilé qui dure une heure, j’entrai dans une plaine déserte et aride ; puis j’arrivai au village de Kichlak, composé d’une centaine de maisons.

Ces villages sont aussi appelés kaleh (c’est-à-dire château ou forteresse) parce qu’une muraille et des tours les protégent.

Le 6, à travers des plaines toujours salées, coupées de cours d’eau saumâtre, j’atteignis le village de Dehinesek (village du-sel) distant de six farsahks. Le manque d’eau potable et la chaleur nous firent beaucoup souffrir : les bêtes de charge étaient exténuées : je pris le parti de voyager la nuit.

À onze heures du soir, j’eus grande peine à réveiller mon muletier et à lui faire donner la nourriture à ses mules. Il ne parlait de rien moins que de me laisser en route ; mais je le forçai à se soumettre. À moins d’être accompagné d’un employé du gouvernement, chargé d’aplanir toutes les difficultés du voyage, on est fort en péril d’être fort mal servi par ces gens-là. Ils sont, à certains égards, privilégiés. Le muletier est exempt d’impôts ; on ne peut, sous aucun prétexte, le forcer à servir comme soldat ; il faut bien que dans un pays comme celui-ci, sans voies de communications praticables, on fasse quelques avantages aux hommes qui se livrent à ce rude métier. Le gouvernement, dans certains cas, peut les requérir ; mais il est alors obligé de les payer régulièrement et d’après un tarif réglé à l’avance.

Nous partîmes enfin au milieu d’une fort belle nuit, éclairés par la lune ; une distance de sept farsahks me parut une promenade comparée aux précédentes. Deux heures environ après le lever du soleil, j’étais en vue de la station de Laskerd dont la partie inférieure m’était encore cachée par les replis du terrain.

Laskerd est un village étrange. Qu’on se figure une énorme tour ayant environ 200 mètres de circonférence et 20 mètres de haut, voilà l’ensemble des habitations !

Après la porte, qui n’est que de la hauteur d’un homme, un passage voûté très-étroit donne entrée dans l’intérieur où des échafaudages superposés sans ordre se tiennent debout par un prodige d’équilibre difficile à concevoir. Si l’on frappe du pied sur une terrasse, un tremblement se communique à tout le reste des masures, d’où sort une odeur nauséabonde des plus désagréables.

À une certaine hauteur, les habitants ont enfoncé dans la muraille des poutres au moyen desquelles ils se sont fait un balcon ou galerie extérieure.

La population de Lasker est de 120 familles, sans compter celles qui n’y trouvant plus moyen d’équilibrer sur la tour un petit échafaudage, sont obligées d’habiter des maisons en terre dans le voisinage.