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sible allure des rois fainéants : ce dernier parti était préférable, et les dorobants de la sous-préfecture s’éloignèrent pour opérer la réquisition nécessaire ; en attendant, nous eûmes tout le temps d’explorer les environs qui sont charmants. Ce mot de sous-préfecture sonnait désagréablement à mes oreilles dans ce lieu d’un caractère si primitif et si séduisant. Messieurs les employés eux-mêmes, malgré leurs prévenances, me paraissaient, avec leurs fracs noirs, déplacés au milieu de cette nature, vierge de tout alignement. Je crois qu’une bande de leurs naïfs administrés, toute une nombreuse famille qui attendait d’être appelée à son tour pour répondre à je ne sais quelle assignation couchée sur l’herbe depuis la veille était de mon avis.

Quant au bâtiment administratif, il a une physionomie triste et rébarbative : bâti en troncs d’arbres couchés les uns sur les autres, percé de petites fenêtres et couvert d’un haut toit de bardeau, il tient du blokaus et de la prison. Il est ombragé par de beaux noyers et appuyé à un frais ravin ; il domine à pic un cours d’eau encaissé dans des rives rocheuses et a, pour cour d’honneur ou salle des Pas-Perdus, un vaste plateau herbu, entouré d’arbres, derrière lesquels s’abritent de petites fermes qui se ressemblent toutes. C’est toujours un enclos de branchages tressés étroitement à des pieux solides, et, à l’intérieur, une petite maison toute de bois, dont l’entrée donne sur une galerie supportée par de minces piliers façonnés à la hache. À une des extrémités de


Une maison à Suici. — Dessin de Lancelot.


cette galerie est un divan grossier. Près de la face opposée de l’enclos est, en guise de grenier où l’on serre les épis de maïs, un vaste panier supporté à six ou sept pieds du sol par de gros piquets et couvert d’un toit de planchettes ou de paille. Au centre est un poulailler qui ressemble assez à une grande hotte. Aux extrémités, des hangars abritent les chariots et les instruments aratoires peu nombreux. Dans tout cet espace, indifférents aux morsures du soleil comme aux caresses de l’ombre, courent et se roulent pèle-mêle, des porcs et des enfants nus de deux à cinq ans. On fait pour les porcs plus de frais d’habillements que pour les enfants ; afin de les empêcher de s’introduire au travers des clôtures, dans les champs qu’ils ravageraient, on emprisonne leur cou dans une sorte d’armature faite de trois morceaux de bois assemblés en triangle. À chaque angle, une des trois pièces de bois se prolonge en pointe solide comme un épieu, se fiche en terre toutes les fois que l’animal veut fouiller avec son grouin, et paralyse ainsi toutes ses tentatives de voracité. Il arrive quelquefois que cette pointe engagée par ses efforts violents le retient prisonnier à l’angle d’une clôture : l’animal rappelle alors, par son attitude humiliée et ses petits yeux, un Chinois exposé à la cangue.

Lancelot.

(La suite à une autre livraison.)