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le signe mécanique de la croix et la génuflexion. Les prêtres, qui égalaient le peuple en ignorance et en rudesse, servaient Dieu sans dévotion, sans dignité et sans décence ; à vrai dire, ils n’avaient pas d’autre Dieu que leur ventre[1]. »

Dans leur lutte contre la noblesse, les princes furent soutenus par le clergé. La rivalité des boyards et des prêtres commença sous Rodolphe IV. Dès les temps les plus anciens, le métropolitain présidait les assemblées générales. Par la faveur de Rodolphe, les évêques, les archimandrites et les abbés eurent voix délibérative dans les assemblées convoquées par le prince et dans celles où il s’agissait de l’élection du souverain. Les clercs ne dépendaient que de l’Église.

Le simple prêtre était jugé par l’archimandrite, les archimandrites par l’évêque, les évêques et l’archevêque par le tribunal du prince. Les églises et les monastères possédaient d’immenses richesses. Dans un pays où il n’y avait point d’hôtellerie pour les voyageurs, d’hôpital pour les malades, d’écoles pour les enfants, les couvents tenaient lieu de toutes ces institutions.

Les meilleurs princes les dotèrent avec une grande libéralité. D’autres crurent sas racheter de leurs crimes en donnant au clergé des églises et des terres. Aussi, dès le seizième siècle, les monastères avaient déjà plus de biens que tout le reste de la nation.

Propriétaires du sol, dominateurs des consciences, représentants de Dieu dans les assemblées publiques, leur autorité morale et leur puissance temporelle se fortifiaient l’une par l’autre. Aucune puissance n’attaqua impunément leurs priviléges. Exempts de la dîme, de la capitation, de tous les impôts, ils exercèrent dans les affaires de l’État une influence prépondérante sans participer aux charges publiques.

Après Rodolphe le Grand, leur protecteur le plus généreux et le plus dévoué fut Nagu Ier, qui régna de 1513 à 1521. Élevé par le patriarche Niphon, son père spirituel, il n’oublia jamais les enseignements et les conseils


Argis. — Dessin de Lancelot.


qui avaient instruit sa jeunesse. Les pauvres, les vieillards et les orphelins furent les objets de sa sollicitude paternelle ; il établit pour eux des maisons de charité, ou ils étaient reçus et entretenus aux frais de l’État.

Pendant toute sa vie, il répandit de nombreux bienfaits sur le peuple qui l’avait appelé pour le commander. Libéral envers les pauvres, il fut prodigue envers l’Église. Il fit construire en marbre blanc l’église d’Argis, la merveille de son pays et qu’on remarquerait partout ailleurs. À la consécration de cette cathédrale, assistèrent le patriarche œcuménique de Janina, quatre archevêques outre celui de la Valachie, et environ un millier de prêtres. Nagu donna, à l’occasion de cette cérémonie, un grand nombre de terres et de villages aux monastères du pays ainsi qu’à ceux du mont Athos. (17 août 1518.).

Ce zèle religieux, qui franchissait les limites mêmes de la Valachie, épuisa le trésor public ; les revenus de la principauté suffirent à peine à la construction et à la réparation des églises ; pour payer les frais de la cathédrale d’Argis, la femme du voïvode vendit ses bijoux. À l’exemple de Nagu, Alexandre II bâtit un monastère près de Bucharest, et le consacra à la Trinité. C’est ainsi, dit Engel, que ce prince hypocrite cherchait à se laver de ses crimes par des bienfaits envers le clergé. Mihne II lui-même, au commencement de son règne, montra beaucoup d’ardeur pour la foi, et se fit surnommer le Bon Chrétien ; mais celui-ci finit par apostasier ; déposé, en 1591, il sauva sa vie et ses richesses en embrassant l’islamisme. Murad III le fit pacha d’Alep.

La richesse et la puissance du clergé furent-elles profitables à la Valachie ? On ne saurait le croire. Les prêtres ne cherchèrent pas à soulever contre l’étranger, contre l’infidèle, l’instinct national et religieux du peuple, qu’ils gouvernaient avec une autorité souveraine ; ils ne se montrèrent ni chrétiens ni patriotes. Qu’importaient, en effet, à leur égoïsme les empiétements de la Porte ? Ce n’étaient pas eux qui payaient le tribut. Exempts de tout impôt, ils échappaient l’avidité du fisc, et n’avaient rien à craindre des spoliateurs les plus audacieux. Ils ne firent rien pour arrêter les usurpations des Ottomans

  1. De Kogalnitchano, cité par Ubicini.