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fleurie, le front serein, le regard calme, la bouche souriante : des citadins causaient familièrement avec eux, sans leur témoigner ni rancune, ni répulsion : trois soldats surveillaient amicalement leur travail ; un sous-officier surveillait les trois soldats, et des flâneurs attendaient le passage d’une ronde d’officier.


LIV

UN PEU D’HISTOIRE.


Les Valaques catholiques, puis schismatiques. — Fondation de la Valachie. — Radu-Negru. — Argis capitale. — Égalité du treizième au seizième siècle. — Noblesse personnelle et viagère. — Prépondérance du clergé. — Nagu Ier. — Consécration du monastère d’Argis.

L’histoire de la principauté de Valachie proprement dite commence à Argis, qui fut sa première capitale religieuse et politique. Quelques détails historiques feront comprendre par quelles transformations le clergé, la noblesse et le peuple, ont passé avant d’arriver où ils en sont aujourd’hui : je les emprunte à l’histoire de la Roumanie par J.-A. Vaillant, et à l’excellent ouvrage sur les provinces d’origine roumaine de M. A. Ubicini[1].

Les Roumains avaient embrassé de bonne heure le catholicisme. En 360, l’évêque Ulphilas prêchait en Dacie l’Évangile aux tribus des Goths. Les chrétiens des bords du Danube reconnurent dès l’origine la suprématie de l’Église de Constantinople, et suivirent l’exemple des Grecs, lorsque le patriarche Photius (857-891) commença le schisme de l’Église d’Orient. Un peu plus tard (957), Olga, grande princesse de Russie, introduisait chez les Russes idolâtres les dogmes chrétiens enseignés par l’Église grecque et les cérémonies chrétiennes de Constantinople. Les Roumains, comme les Grecs et les Russes, pratiquèrent la communion sous les deux espèces, le baptême par immersion, firent procéder le Saint-Esprit du Père, retranchèrent le Filioque et nièrent la suprématie de Rome.

Dans la Principauté de Valachie proprement dite, la prépondérance du clergé commença avec Radu-Négru, et dès lors le métropolitain présida les assemblées générales.

Radu-Négru (Rodolphe le Noir) fut le premier organisateur de la Principauté de Valachie. Il régnait sur la ville de Fogoras en Transylvanie et l’abandonna en 1241, lors de l’invasion des Tartares conduits par Batton-Kan, fils et successeur de Gengis-Kan. Il franchit les Karpates suivi d’une foule d’émigrants, fit alliance avec les tribus fixes et nomades qui occupaient le territoire descendant des montagnes vers le Danube à gauche de l’Olto, s’en fit reconnaître le chef, bâtit le château et l’église de Kimpu-Lungu, et fut duc de la Terre roumaine.

Il releva Pitesti, Bucuresci et Turguvici de leurs ruines, établit sa résidence à Argidava, qu’il fit renaître, (de cette renaissance elle a gardé le nom de Kurtea de Argish, cour d’Argis), et pour satisfaire aux vœux de sa femme y fonda un évêché catholique.

Michel Bassaraba, alors ban de Craïova, pour résister aux prétentions des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, auxquels le roi de Hongrie avait concédé son territoire (1247), reconnut Rodolphe le Noir pour suzerain.

Les prétentions de la Hongrie une fois repoussées par leurs armes victorieuses, ces deux princes assurèrent leur domination et dressèrent un code dont les lois régirent la Valachie jusqu’à la fin du quinzième siècle.

Le texte de ces lois s’est perdu. En voici les bases, suivant Vaillant, d’après l’état de ce peuple jusqu’à Radu IV, 1493-1508 :

1. Tous les Roumains étaient égaux, parce qu’ils étaient tous soldats, divisés en soldats actifs ou masnavi, masnegi, masnada, mesnadieri, mesnades, miles, enfin, ou gentilshommes ; et en soldats retraités, terriens ou masterrani, masneni, d’où les mos’negi, mos’neni et t’erani d’aujourd’hui, c’est-à-dire tenanciers militaires de l’État.

2. La terre appartenait à l’État ; l’État seul en avait la domnia, la mas’ia absolue. Elle était divisée en deux parts : celle des terrani ou mos’neni, et celle de l’État proprement dite ou de la commune. Les mos’negi seuls avaient droit aux biens communaux ; ils n’en étaient pas propriétaires, mais possesseurs. À la mort du titulaire, la famille n’héritait pas, les biens retournaient à l’État.

3. Le duc était élu par la nation.

4. Les fils du souverain n’héritaient point des titres de leur père.

5. Toutes les charges étaient à la nomination du duc.

6. Un conseil de douze vieillards aidait le souverain de sa sagesse et de ses lumières.

7. L’Assemblée du peuple était convoquée dans les moments difficiles.

8. Le pays était divisé en juridictions et la justice administrée par des jupans.

9. Tous les enfants avaient un droit égal à la succession de leur père ; mais les frères étaient tenus de se gêner s’il le fallait pour établir les sœurs selon leur rang.

10. La noblesse était personnelle et viagère.

11. Étaient nobles tout mos’nag et tout mos’nan ;

12. Le prince portait le titre de duc des Moldo-Valaques, c’est-à-dire des Roumains de la montagne et de la plaine.

13. Il n’y avait ni impôt (bîr) ni taxe (tacsa), car il n’y avait encore ni conquérant ni vaincu, mais des contributions (cisla) volontairement votées par les communes ;

14. Le peuple payait double dîme à l’État et à l’Église ; les huit autres dizièmes étaient à lui. L’une et l’autre ne semblent avoir été, dans l’origine, qu’une offrande ; celle de l’État, en effet, s’appelait Dare (don) ; celle de l’Église était en espèce et en nature, et s’appelait Daj Dei. (don de Dieu).

  1. Univers pittoresque. Firmin Didot.