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Gaesti n’a pas d’auberge ; c’est une distinction réservée aux villes de plus d’importance. Nous passâmes la nuit chez le maître de poste qui mit à notre disposition, une chambre assez convenable et les accessoires d’un souper dont nous avions apporté les meilleurs éléments, acte de prudence que je recommande instamment aux voyageurs.

En quittant la ville le lendemain à l’aube, nous vîmes du côté droit de la route, d’élégantes villas enfouies sous des arbres, et de jolies petites maisons d’architecture presque turque entourées de jardins.

À cet agréable tableau en succéda un autre bien différent. De nombreuses bandes de corveïeurs se rendaient au travail d’un air morne, à pas lents et sans échanger une parole. Ils marchaient par file, enveloppés d’un grand manteau blanc, le bonnet enfoncé sur les yeux et pieds nus, malgré la fraîche rosée qui perlait dans les sentiers herbus où nous les voyions disparaître l’un après l’autre.

La vallée de l’Argis est assez habilement cultivée et d’une fécondité qui devrait assurer sans grande peine le bien-être à tous ses habitants. La rivière coule dans une vaste plaine toute jaune d’épis mûrissants, et fuit à perte de vue devant nous, bornée à droite et à gauche par des collines boisées qui s’élèvent de plus en plus vers l’horizon ; sur les premières pentes de ces collines les maïs dressent leurs tiges élégantes hautes de trois mètres. Dans ce pays où il paraît si facile et si doux de vivre, les hommes seuls ont l’aspect farouche et le visage triste.

La richesse de la végétation donne à toutes ces pauvres bourgades qu’on rencontre, un air joyeux et fleuri ;


Une bourgade valaque. — Dessin de Lancelot.


elles sont séparées de la route par de larges espaces de gazon épais où poussent pêle-mêle des saules, des hêtres dont les vieux troncs sont entourés de lierres et des pruniers auxquels se suspendent des guirlandes de liserons géants.

On aperçoit longtemps avant d’y arriver la ville de Pitesti, une des plus anciennes de la Valachie. C’est aujourd’hui la préfecture ou le chef-lieu du district de l’Argis. Le sombre amas de ses maisons de bois n’est surmonté d’aucun clocher. En parcourant ses rues principales, je ne parvins à découvrir aucun monument ancien ou remarquable. Quelques maisons neuves en pierre, vastes et bien bâties prouvent toutefois que Pitesti commence à s’embellir à l’européenne : elles contrastent singulièrement avec les vieilles grandes habitations à piliers massifs supportant des auvents de planches noircies qui abritent des boucheries d’un aspect repoussant et des boutiques où je ne remarquai guère que des morceaux de cuir écru, des paquets de longues courroies, des poissons secs, des chandelles longues comme des cierges, mais grosses comme un petit doigt de femme. Au-dessus de ces boutiques on ne voit qu’un étage assez bas, couronné d’un toit pyramidal, et couvert de planches étroites et minces.

Pitesti m’a laissé le souvenir peu agréable de deux galériens attachés l’un à l’autre par une chaîne rivée à des anneaux fixés à leurs jambes : tous deux, armés d’une longue branche d’aune garnie de ses feuilles, caressaient mollement la route, juste assez pour en soulever la poussière. Ces deux patients avaient la mine