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Madonna Laura, jusqu’au Sodoma et à Beccafumi, ont enrichi de splendides peintures.

Mais c’est particulièrement dans la chapelle (située au premier étage) que les beaux-arts sont tous représentés de la manière la plus éclatante. Les murs de cet élégant petit temple et du vestibule qui le précède sont recouverts par les fresques de Taddeo Bartoli (1414) ; le tableau qu’on voit sur l’autel est du Sodoma ; la statue du Sauveur, sur le bénitier, est de Giovanni Turini.

La grille en fer qui clôt la chapelle est un bel ouvrage du quinzième siècle ; mais ce qu’il y a de plus admirable, ce sont les sculptures sur bois et les travaux de marqueterie du chœur, qui sont le chef-d’œuvre de Domenico di Niccoló. Ce travail lui valut l’honneur d’être surnommé Domenico del Coro, et ses descendants eurent assez d’esprit pour conserver comme nom de famille ce sobriquet qui valait bien un blason[1]. Sous le ciseau de ce grand maître, le bois s’épanouit en rosaces, en feuilles, en fruits d’une merveilleuse élégance. Dans les dossiers des stalles sont figurés les douze articles du Credo. On prétend que le dessin en est dû à Taddeo Bartoli ; mais il est certain que Domenico aurait pu s’en passer. C’est encore lui qui a décoré de sculptures en bois et d’ouvrages de marqueterie la porte qui conduit de la chapelle à la salle de la Balia.

Après la chute de la république, la salle du Grand-Conseil devenait inutile ; on en fit un théâtre. Ce fut Maestro Riccio qui en donna le dessin en 1560 ; mais la salle actuelle a été rebâtie, en 1753, après deux incendies, par Bibbiena, et porte le cachet du mauvais goût de l’époque. C’est toutefois un vaste théâtre et le premier de la ville.

Le conseil municipal occupe encore le vieux palais républicain. Si l’on excepte le Ministère des affaires étrangères, — provisoirement logé dans le Palazzio Vecchio, je ne connais nulle autre administration publique qui jouisse d’une résidence si artistique. Sano di Pietro, Vecchietta, Sodoma, Riccio, Vanni, Salimbeni ont recouvert de leurs splendides peintures toutes ces murailles. Je me borne à constater que le général la Marmora et le gonfaloniere de Sienne travaillent au milieu de chefs d’œuvre, sans prétendre aucunement que cela les oblige à faire eux-mêmes des miracles.

Le dessin de la tour du Mangia[2] a été donné en 1325, par Agnolo di Ventura et Agostino di Giovanni. Plusieurs maîtres y ont travaillé pendant vingt ans, de 1325 à 1345. J’ai voulu savoir quel était le personnage qui a donné son nom à cette tour élégante ; et j’ai trouvé que le Mangia était un automate qui venait chaque jour battre le coup de midi à l’horloge. Ce bonhomme était jadis pour les Siennois ce que Pasquino et Marforio sont encore pour les Romains ; on mettait sous sa responsabilité des épigrammes plus ou moins bien rimées, qu’on placardait au pied de sa tour. Mais un beau matin, comme le pauvre Mangia sortait pour sa promenade habituelle, un ressort se cassa, et il tomba sur la place.

Cette petite chapelle, d’un dessin si correct et si agréable dans son ensemble, qui s’appuie coquettement à la tour, est liée à un souvenir bien triste : cinq siècles n’ont pas suffi à l’effacer de la mémoire des Siennois. Ce fut dans la terrible peste de 1348 que la république la voua à la Vierge. Commencée en 1352, on la démolit quatre lois ; l’artiste chercha ardemment à se rapprocher de plus en plus de son idéal de beauté jusqu’en 1376, où il ne se sentit pas le pouvoir d’atteindre plus haut : cet architecte demeure inconnu ; ce fut peut-être Giovanni di Cecco, qui était à cette époque le capomaestro de l’opéra de la cathédrale, laquelle en fit les frais[3].

Tandis que l’architecture siennoise créait des monuments d’une si exquise beauté, la sculpture traversait une période de décadence, comme on ne le voit que trop par les six statues qui remplissent les niches des piliers. Mais si le ciseau n’a pu concourir dignement à la décoration de ce petit temple, la palette en revanche y est splendidement représentée par la fresque de l’autel que peignit Sodoma en 1537.

Un autre monument remarquable de la Piazza del Campo est sans contredit la célèbre Fonte Gaja, qu’on regarde comme le meilleur ouvrage de Giacomo della Quercia dans sa ville natale[4]. Les sculptures en parurent si parfaites à ses contemporains que depuis lors on l’appela Giacomo della Fonte, et la fontaine elle-même fut dite gaie, à cause de la joie que fit naître dans ce peuple passionné la vue de ce nouveau chef-d’œuvre.

Ce fut le même sentiment qui, à Florence, avait fait appeler Borgo Allegri (bourg gai) la rue dans laquelle habitait Cimabue, après que le peuple eut conduit processionnellement Charles d’Anjou à la modeste maison de l’artiste pour y admirer le célèbre tableau qu’on voit dans l’église de S. Maria Novella.

La Fonte Gaja se trouve aujourd’hui dans un état déplorable qu’il ne serait pas juste de mettre exclusivement à la charge du temps. Je n’épargnerais donc pas à mes chers Siennois un blâme sévère pour avoir si mal gardé ce trésor, si je ne savais qu’ils ont réparé autant qu’il se pouvait leur oubli en commandant une exacte reproduction du chef-d’œuvre de Giacomo della Quercia.

Le beau palais crénelé, aux fenêtres en ogive, du milieu duquel s’élève une tour et qui suit avec ses murailles en briques la courbe élégante de la place, appartient, comme nous l’avons déjà dit, aux Sansedoni. Cette famille est des plus anciennes de la ville et faisait partie de la haute aristocratie féodale qu’on appelait les Grandi

  1. Après lui, sa famille s’appela de Cori. Le travail du chœur lui avait été commandé en 1415.
  2. Hauteur de la tour, cent un mètres quatre-vingts centimètres.
  3. Plus tard, en 1460, Antonio Federighi rehaussa la toiture de la chapelle, et dessina cette belle frise, qui entoure avec des sphinx ailés l’écusson de Sienne et le mot LIBERTAS.
  4. Cet artiste y travailla sept années, de 1412 à 1419, avec le concours de Sano di Matteo, architecte et sculpteur.