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En temps de guerre cette poussière de petits boyards prenait les armes et, avait chance d’arriver aux premières dignités ; en temps de paix elle se mettait au service des grands boyards fonctionnaires, et jouissait des priviléges qui leur étaient accordés. Les fonctions n’étaient données que pour une année ; tous les dignitaires grands ou petits, au sortir de charge, conservaient leurs titres.

L’arrivée des Phanariotes dans les principautés faussa encore plus le principe déjà altéré et engendra une foule d’abus.

L’ancienne aristocratie roumaine issue en Valachie, comme dans toute l’Europe, des luttes du moyen âge, était en grande partie éteinte ou n’avait plus d’existence politique.

Ses derniers représentants étaient tombés à Kalougareni, avant la transformation politique de la Roumanie.

En 1716, Nicolas Maurocordato, premier prince phanariote de Valachie, ayant rendu une loi aux termes de laquelle l’indigénat s’acquiérait par le mariage avec une indigène, les principautés furent livrées en proie à une foule d’aventuriers grecs, la plupart originaires de Constantinople et de la Turquie, qui envahirent le pays à la suite des princes et devinrent, grâce aux emplois qu’ils obtinrent, la source d’une aristocratie nouvelle, avilie, corrompue, âpre au gain, étrangère au pays qu’elle pillait sans vergogne et qui les flétrissait du nom de Ciocoï (parvenus). L’intrusion de cette noblesse exotique acheva de plonger dans la misère et dans l’oubli les quelques restes de la gentilhommerie roumaine.

La boyarie, telle que l’établit le règlement organique, d’après les constitutions de Pierre le Grand, concernant la noblesse russe, consiste moins en des titres qu’en des rangs assimilés à des grades militaires. Les rangs sont décernés par les Hospodars. Quiconque occupe un emploi dans l’État a un rang et par conséquent est boyard. La boyarie ne forme donc pas une caste close ; elle se renouvelle sans cesse à sa base. Le soldat en devenant officier, le scribe qui a passé quelques années au service de l’État, deviennent nobles eux et leur progéniture jusqu’à la deuxième génération.

On compte en Valachie trois mille deux cents familles de boyards et deux mille huit cents en Moldavie, présentant un total de trente mille individus. Ces boyards se divisent en deux catégories, les grands et les petits boyards.

Cette distinction a été introduite par le règlement organique. Auparavant il n’existait aucune différence de boyard à boyard quant à l’exercice des droits politiques. Le même règlement fixe le rapport des rangs de la boyarie aux grades militaires.


XLIX


Bucharest. — Le jardin public. — Question de costume. — Un air national. — La promenade des voitures. — Un Turc pour rire.

Bucharest, en valaque Bucuresci, est situé au milieu d’une vaste plaine et traversé par la Dimbovitza. Son enceinte très-mal définie, de plus de cinq lieues de tour, renferme plus de cent mille habitants, dont cinq ou six mille étrangers, cinq mille juifs, neuf mille tziganes et plus de douze cents prêtres. D’après Vaillant, c’est l’ancienne Thyanis qui devint plus tard la Bu-curia dominicalis des princes valaques ; son nom est l’adjectif du substantif bucurie, qui signifie plaisance, joie.

La ville est aussi difficile à décrire qu’à visiter. Au centre, un quartier commerçant composé de quatre rues principales où se trouvent le théâtre et le palais des princes tous deux dépourvus de caractère architectural, est remarquable par de beaux alignements de boutiques et de magasins brillants, des cafés décorés de fresques et des bazars approvisionnés des objets les plus divers de provenance étrangère : chapellerie et confection anglaises, meubles d’Allemagne d’un goût prétentieux, sellerie et carrosserie d’Autriche, armurerie de tous les pays, étoffes et modes de Paris, librairie Hachette. Une prévenance affable et polie règne avec l’habit noir dans ce quartier ; L’ambition de la fashion du comptoir est de suivre en tout la mode de France ; elle la devance ; les femmes s’y parent, avec une aisance de créoles, des plus coquettes transparences et des ampleurs les plus exagérées.

En dehors de ce quartier, il n’y a que des agglomérations irrégulières de maisons, qui semblent autant de villes ou de villages reliés entre eux par trois ou quatre larges voies qui vont jusqu’aux extrémités de la ville et se prolongent en routes vers les quatre points cardinaux.

Je ne me sens pas le courage de décrire l’affligeant contraste d’abjecte misère et d’opulence écrasante qui se partagent très-inégalement la population. Certes, les rues tortueuses et sales, les bourgades boueuses, les maisons humides dans des bas-fonds marécageux où s’entasse et s’exile la classe nécessiteuse, font mal à voir si près des élégants hôtels et des gracieuses villas de l’aristocratie ; mais palais et tanières matérialisent également et rendent plus sensible la situation morale. Telle qu’elle est encore aujourd’hui avec ses tentatives d’embellissements, la ville de Bucharest a bien la physionomie qui convient à la capitale de la Valachie, où les idées de régénération et d’affranchissement sont étouffées par les principes oppressifs et démoralisateurs qu’y ont laissés les deux civilisations turque et russe. On ne saurait toutefois douter qu’État et capitale ne se transfor-