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réfugier en Pologne et en Moldavie. De nouvelles émigrations plus considérables eurent lieu en 1342, 1418 et 1606.

Les Juifs sont Espagnols ou Polonais. Les premiers viennent de la Turquie où ils émigrèrent de l’Espagne et du Portugal au quinzième siècle. Ils se prêtent à la civilisation européenne et se tiennent plus particulièrement en Valachie. Les seconds, dont la Moldavie fourmille et qui composent le tiers de la population de Jassi, sont venus de la Russie et de la Pologne autrichienne, fuyant le recrutement et les troubles de la Gallicie.

Les tziganes ou bohêmes, avec lesquels nous ferons plus ample connaissance sont au nombre de 250 000. Depuis 1861, des lois votées par l’Assemblée législative, des décrets du prince ont sensiblement modifié la constitution du peuple moldo-valaque. Mais tant d’intérêts puissants s’opposent à la franche exécution de ces lois nouvelles, et les fourbes et cauteleuses tergiversations des administrations russe et turque ont laissé de si profondes ramifications dans ce pays, que longtemps encore, quoi qu’on en dise, les vieilles lois injustes et oppressives prévaudront.

Tous les détails que je donnerai sur les trop nombreux priviléges accordés aux classes nobles, et sur les écrasants devoirs imposés aux paysans, se rapportent légalement aux époques antérieures à 1862.

Je puise à deux sources authentiques : aux Provinces roumaines de M. Ubicini et à la Romanie de M. Vaillant, qui fut, avant 1848, directeur du collége de Saint-Sava, à Bucharest.

Le règlement organique de 1831 divise la population en deux grandes catégories : les privilégiés et les contribuables.

La première est composée de tous les individus exempts d’impositions, tels que boyards, employés de tous grades, prêtres, moines, religieux, soldats, domestiques, Tziganes des monastères et des particuliers, etc. Leur nombre peut être évalué à 680 000 pour les deux principautés.

La seconde comprend :

1o les négociants et artisans, patentés, divisés en trois catégories selon l’étendue de leur trafic ou la nature de leur industrie ; ils sont 120 000.

2o les paysans cultivateurs évalués à 640 000 familles où 3 200 000 individus.

Ainsi, plus d’un sixième de la population est exempt d’impôts. Les classes laborieuses qui n’ont aucun droit dans l’État en supportent seules les charges.

Quelques éclaircissements feront ressortir mieux encore cette injuste inégalité.

Ce qu’on appelle la boyarie ou noblesse ne fut réellement instituée que vers la fin du quinzième siècle. — Jusque-là, tout homme d’armes portait le titre de boïer, que portaient les colons romains, aux huitième et au neuvième siècles, alors qu’ils conduisaient encore à la guerre des chars armés de faux et attelés de bœufs. Tout maître de char armé en guerre, s’appelait boïer (bovis herus) comme tout maître de cheval équipé s’appelait cavalier (cavali-herus). Ce titre, tant que durait la guerre, entraînait l’exemption de toute contribution ou charge personnelle.

Les grades auxquels on parvenait étaient personnels. Le fils n’héritait pas du titre paternel. Tout Roumain étant soldat, tous les citoyens servant l’État, recevaient un titre militaire.

Radu, ou Rodolphe IV, prince de Valachie, eut l’idée de convertir en titres les offices de la cour. Ces titres, au nombre de dix-neuf, donnèrent lieu à trois classes de boyards.

La première classe comprenait :

1o Le grand Ban de Craïova, gouverneur de cinq districts ;

2o Le grand Vornick, ministre de l’intérieur ;

3o Le grand Logothète, ministre de la justice ;

4o Le grand Spathar, chef des armées ;

5o Le grand Vestiar, ministre des finances ;

6o Le grand Postelnik, ministre des affaires étrangères.

Les boyards de la seconde classe étaient au nombre de six, ils portaient un bâton en argent, mais point de barbe ; ce privilége appartenait exclusivement aux grands boyards. Les Voïvodes les appelaient Mes fidèles boyards. Ils avaient place dans le conseil des six grands boyards, mais pas de voix délibérative, si ce n’est lorsque le Voïvode demandait leur avis[1].

Ces six boyards de seconde classe étaient :

1o Le grand Aga, préfet-de police et capitaine des chasseurs ;

2o Le grand Cluciar, fournisseur général de l’armée ;

3o Le grand Paharnik (échanson), qui versait à boire les jours de cérémonie ;

4o Le grand Stolnik, intendant de la cour ;

5o Le grand Caminar, qui commandait la garde du palais ;

6o Le grand Commis, qui inspectait les écuries de l’État.

Ces deux premières classes de boyards prenaient place au conseil dans les jours ordinaires.

La troisième classe, composée de sept boyards, y siégeait seulement dans les grandes occasions ; c’étaient :

1o Le grand Serdar, chef de la cavalerie ;

2o Le grand Slandjiar, qui commandait le service du palais ;.

3o Le grand Pitar, qui surveillait le service des vivres de l’armée ;.

4o Le grand Armash, inspecteur des prisons ;

5o Le grand Portier, maître des cérémonies ;

6o Le grand Satrar, inspecteur des tentes de l’armée ;

7o Le grand Cluciar de Arié, inspecteur des magasins de l’armée.

Ces charges étaient en même temps militaires et civiles ; chaque haut dignitaire avait sous lui deux ou trois lieutenants.

  1. Kogalneceano, Histoire de la Valachie et de la Moldavie, Berlin 1837.