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liers six petits anges en bronze, dont trois sont de Donatello, et le reste de Giovanni di Turino.

L’ensemble de ce monument, couronné par la statue de saint Jean-Baptiste, a un tel charme qu’on ne se lasse pas de le regarder. Il faut cependant réserver une part d’admiration aux fresques de la voûte, et particulièrement à celles de Lorenzo di Pietro, surnommé le Vecchietta (1450).

Une petite rue pittoresque, comme il y en a tant à Sienne, conduit du baptistère à la place del Campo. En descendant cette rue, on laisse sur la droite le palais de ce Pandolfo Petrucci, surnommé le Magnifico, qui, parvenu, comme les Médicis, à dominer sa ville natale, ne réussit pas cependant à léguer comme eux son autorité à ses enfants. Ce palais, qui remonte au commencement du seizième siècle, a été dessiné par Cozzarelli, auteur également de ces campanelle[1] en bronze d’un travail si exquis qu’on admire sur la façade.

Encore quelques pas et nous voici en face du palais de la République.

La piazza del Campo est le véritable centre, nous dirions presque le cœur de la ville.

Cet admirable amphithéâtre, qui semble fait exprès pour des spectacles publics, a vu autrefois plus d’une émeute et plus d’un combat. Les flots du peuple peuvent s’y déverser par onze rues à la fois.

Cette place est très-singulière : elle ressemble, comme on l’a souvent remarqué, à une grande coquille renversée. Dans son plan, elle offre la figure d’une grande section de cercle ; la corde en est représentée par le palais de la République, qui occupe la partie inférieure de la place, du fond de laquelle les autres bâtiments remontent graduellement en hémicycle. Le palais de la République, la tour du Mangia, l’élégante petite chapelle appuyée à sa base, le palais Sansedoni avec ses créneaux et sa tour mutilée, la célèbre Fonte Gaja, sont autant de monuments qui se complètent l’un l’autre et forment un ensemble de la plus rare magnificence.

On peut dire que cette place est guelfe. Tous ses grands édifices ont été élevés après la chute des gibelins ; le palais de la République, la tour du Mangia, le palais même et la tour de la famille gibeline des Sansedoni portent des créneaux guelfes. Et cependant cette place est pleine pour nous des passions et des grandeurs de la période gibeline. C’est que, debout et seule au milieu de tous ces symboles de la puissance guelfe, surgit la grande figure de Provenzano Salvani, qui remplit de son souvenir tout ce vaste espace. Provenzano, le grand gibelin, l’ami et le compagnon de combat de Farinata, le vainqueur de Monte Aperti ; cet homme dont le courage et la persévérance grandirent avec l’infortune, et qui laissa sa tête sur le champ de bataille de Colle, cherchant dans une lutte désespérée à venger le supplice de Conradin ; cet homme qui représente tout un parti, toute une époque de l’histoire de sa ville ; cet homme si fier, le premier citoyen de la république, a déployé sur cette place son tapis[2], pliant son grand cœur à l’humiliation de tendre la main aux passants pour rendre à son ami la vie et la liberté !

Cette grande place républicaine est toujours belle et imposante, soit que la foule enthousiaste salue de ses cris les drapeaux des contrade déployés au soleil de juillet, soit que dans le froid silence de la nuit, lorsque tout vestige de notre siècle a disparu avec le dernier promeneur attardé, la svelte tour du Mangia et les créneaux du palais se découpent sur l’azur étoilé. Pour peu que vous ayez d’imagination, vous pouvez alors vous croire en plein moyen âge.

Le gouvernement de la république n’a résidé dans le superbe édifice que nous admirons qu’après la défaite des gibelins ; en 1100 il se rassemblait dans la petite église qu’on voit encore vis-à-vis du palais Tolomei[3]. Au commencement du douzième siècle, ce qui devint plus tard le palais de la République était un bâtiment qui servait à la douane du sel et de l’huile. Choisi en 1288 pour résidence de la Signoria et du Potestá, on y travailla plusieurs années pour le rendre digne de sa nouvelle destination. En 1309 il était achevé tel que nous le voyons aujourd’hui[4].

L’exacte reproduction que nous en offrons à nos lecteurs (page 20) nous dispense du soin de décrire une à une les beautés de ce superbe édifice.

L’intérieur du palais mérite d’être visité en détail et avec la plus grande attention. La Cancelleria, la sala dei Nove ou della Pace, et les autres salles delle Balestre, della Balia et del Consistoro[5], sont autant de musées que tous les grands maîtres de l’école siennoise, depuis Simone di Martino[6], l’ami de Pétrarque et le peintre de

  1. Ce sont des anneaux où l’on attachait les rênes des chevaux. Ceux de ce palais représentent deux serpents entortillés et sont retenus par une-griffe de lion qui sort de la muraille.
  2. Un de ses amis était resté prisonnier de Charles d’Anjou. On demandait dix mille florins d’or pour sa rançon, avec menaces de le tuer si on ne payait cette somme dans un certain délai. Provenzano, ne pouvant payer tout cet argent, déploya un tapis sur la Piazza del Campo, et s’y assit, demandant l’aumône aux passants. Dante, qui était fait pour comprendre ce qu’il y avait de grand dans cet acte, lui a consacré dans son poëme ces beaux vers :

    Quando vivea più glorïoso…,
    Liberamente nel Campo di Siena,
    Ogni vergogna deposta, s’affisse :
    E li, per trar l’amico suo di pena,
    Che sostenea nella prigion di Carlo,
    Si condusse a tremar per ogni vena.
    Purgat., c. XI.

    « Lorsqu’il vivait au milieu des honneurs, il sut déposer toute honte, ; et pour délivrer son ami, qui souffrait dans les prisons de Charles, il se plaça au milieu du Campo de Sienne, tremblant de tous ses membres. »

  3. Saint-Christophe. La façade de cette ancienne église a subi, en 1800, une restauration qui l’a tout à fait défigurée. On y admire le meilleur tableau de Girolamo del Pacchia.
  4. M. Repetti, dans son Dictionnaire de la Toscane, prétend que ces travaux, commencés en 1284, n’étaient pas encore finis en 1330.
  5. C’est dans cette salle que les Siennois gardent l’uniforme que Victor-Emmanuel portait à la bataille de San Martino. M, Mussini, l’ayant obtenu du roi dont il faisait le portrait en 1861, en fit cadeau à la ville. On le conserve dans une armoire en bois sculpté, ouvrage remarquable du professeur Giusti.
  6. Cet artiste siennois, né en 1280 environ et élève de Giotto, a été longtemps désigné sous le nom de Simone Memmi, par suite d’une méprise de Vasari.