Page:Le Tour du monde - 13.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est aussi épaisse que dans les plus riches prairies d’Angleterre.

Ces pâturages, qui s’étendent sur des centaines de milles, sont les meilleurs que l’on puisse trouver en Afrique. La preuve en est dans la condition du bétail qui, presque abandonné à l’état sauvage, devient tellement gras et bonnasse, que les taureaux se laissent tourmenter par les enfants, leur permettent de jouer avec eux, et leur servent de monture. Nous avons souvent vu des vaches, qui ne mangeaient que de l’herbe, être aussi grasses que les bêtes primées dans nos expositions.

On ne trouve, en général, sur ces hauteurs, ni tsetsés ni moustiques.

Il y a néanmoins un inconvénient grave que nous avons signalé plus d’une fois, et qui caractérise toutes les parties de l’Afrique centrale : nous voulons parler des sécheresses périodiques.

La sécheresse est toujours partielle ; mais elle peut s’étendre sur un espace de deux ou trois cents milles. D’après les renseignements que nous avons recueillis, nous pensons qu’entre le deuxième et le quinzième degré de latitude sud, elle reparaît tous les dix ou quinze ans ; et que du quinzième au vingtième degré, elle revient tous les cinq ans.

Bien que le pays soit largement pourvu d’arbres, le bois de charpente, d’une taille vraiment belle, ne s’y trouve que dans certains parages d’une étendue restreinte.

Le gounda, fort estimé par la durée de son bois, a des proportions qui permettent d’y creuser des pirogues du port de deux ou trois tonneaux.

Le mosokoso et le moukoundou-koundou fournissent également de beaux bois de construction.

Le gaïac est ici beaucoup plus gros que partout ailleurs. Nous en avons mesuré qui avaient douze pieds de tour ; mais bien que son bois ait absolument le même aspect que le gaïac ordinaire, on dit qu’il lui est inférieur comme résistance.

Les forêts africaines sont plus remarquables par la qualité que par la taille des essences qui les composent : les bois durs y foisonnent. L’ébène d’Afrique est plus noir que celui du commerce, et l’arbre qui le fournit est plus gros que l’ébénier commun ; il n’appartient pas à la même famille. On le trouve en abondance sur les bords de la Rovouma, où il s’approche de la côte à une distance de moins de huit milles. D’autres bois précieux croissent dans les mêmes localités ; le fustet, par exemple, qui fournit une matière colorante d’un jaune très-solide.

Le molompi, largement répandu dans cette région, nous paraît identique au ptérocarpe érinacé, d’où provient le kino de la côte de l’ouest ; la gomme abondante qui exsude de ses plaies ressemble entièrement à ce produit médicinal.

On fait avec son bois, à la fois solide et léger, des pagaies et des rames excellentes.

Il y a encore le bauhinia, appelé bois de fer tant il est dur ; et le manglier, très-estimé sur la côte, où l’on en fait des chevrons.

Une salspareille, probablement le smilax krausiana, est très-commune sur les hauteurs ; la racine du colombo ne l’est pas moins dans les plaines. Le bouazé, dont la filasse est plus forte et plus fine que celle du lin, abonde également, ainsi que la sansévière fibreuse, l’éfe des indigènes.

Une huile concrète ou liquide est produite par le bouazé, le motsikiri, le boma, un sterculier et une espèce d’acajou ; celle du bouazé est très-siccative.

Le sésame est en outre largement cultivé ; ses graines sont achetées par le commerce, et fournissent, avec l’arachide, une partie notable de l’huile de table que l’on consomme en Angleterre.

Enfin un grand concombre, appelé makaka, est l’objet d’une culture étendue, non-seulement comme plante comestible, mais en raison de l’huile très-fine que l’on retire de ses semences.

Les produits de cette région réclameraient plus de détails ; mais le courage nous manque pour les décrire avec le soin qu’ils mériteraient. Nous n’en parlons pas avec l’ardeur pleine d’espoir que nous avions autrefois ; nous citons la découverte des lacs Chirwa et Nyassa, l’étude patiente du Zambèse jusqu’en amont des cataractes, celle du Chiré, ou tout autre fait géographique de ce voyage, sans éprouver le moindre orgueil.

Tout cela ne se rattachait qu’incidemment à notre but, et la vente de l’homme assombrit nos souvenirs.

Notre expédition est la première, nous le croyons du moins, qui ait vu la traite au lieu même de son origine, et l’ait suivie dans toutes ses phases ; c’est pour cela que nous avons décrit avec tant de détails les diverses pratiques de cet odieux négoce.

On a dit que la vente de l’homme était soumise, comme toutes les autres, à la loi commerciale de l’offre et de la demande, et devait par conséquent rester libre. Cette assertion a été risquée parce que nul ne pouvait la démentir. Mais, nous l’affirmons à notre tour, cette vente est la cause de tant de meurtres, qu’elle ne doit pas plus être classée parmi les branches de commerce que le vol de grand chemin, l’assassinat ou la piraterie. Ce ne sont pas seulement les coupables et les accusés de sorcellerie qui sont vendus. L’enfant d’un pauvre est saisi en payement d’une dette ou d’une amende, au nom du chef et à titre légal.

Viennent ensuite les voleurs qui, soit isolément, soit par groupe, enlèvent les enfants des hameaux voisins, quand les pauvres petits vont puiser de l’eau ou chercher du bois. Nous avons vu des districts où chaque demeure était entourée d’une estacade, et les habitants n’y étaient pas en sûreté.

Ces rapts, d’abord partiels, amènent des représailles ; les bandes se forment, la lutte grandit ; ce qui avait lieu de village à village se passe de tribu à tribu. Le parti le plus faible devient errant, se procure des armes en vendant ses captifs, attaque les tribus paisibles, et n’a plus d’autre emploi que d’approvisionner les marchés de la côte.

Des bandes armées, conduites par des agents com-