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montagnes de Kirk, dont-nous côtoyons-la base ; elles n’ont pas moins de trois mille pieds de hauteur à partir du plateau, ce qui leur en donne plus de cinq mille au-dessus du niveau de la mer. À notre droite s’étend, dans le lointain, un pays couvert de forêts qui s’élève graduellement, jusqu’à offrir l’aspect d’une crête d’où plusieurs monts se détachent, et qui borne à l’est la vallée du Chiré. En face de nous, c’est-à-dire au nord, est l’une des vallées les plus charmantes et les plus fertiles que nous ayons jamais vues. Elle est fermée par des montagnes qui, dépassant d’une trentaine de milles la portée de nos yeux, vont rejoindre le cap Maclear. Les arbres, dont aucun jardinier n’a disposé les groupes, ont été abattus sans merci par le cultivateur ; et cependant ces hautes futaies, ces pentes couvertes de bois, ces vastes pelouses à l’herbe fine, ces massifs d’un vert foncé au bord des eaux courantes, forment un paysage non moins beau que ceux des rives de la Tamise.

Cette vallée s’appelle Gova ou Goa. De loin elle nous paraissait unie, mais le sol en est profondément sillonné par des eaux vives d’une fraîcheur délicieuse, ruisselets qui descendent des montagnes et font mille détours auxquels les obligent des buttes sans nombre.

À partir du parallèle du pic de Chirobou nous n’avons plus trouvé de guides. Les gens ont peur de la tribu qui est à notre gauche, et personne ne veut nous accompagner. Cela nous met dans le plus grand embarras. Les sentiers se croisent dans tous les sens ; ils ont été faits par les villageois en allant des hameaux, situés sur les pentes, aux champs qui sont dans la prairie, et forment un réseau inextricable. Les torrents ont creusé des ravins d’une profondeur de trente à quarante pieds dont les bords, presque perpendiculaires, ne peuvent être gravis qu’à certaines places. Le peu d’habitants qui restent dans les bourgades accrochées aux montagnes, nous voyant circuler dans la plaine, et tenter de franchir ces ravins à des endroits impossibles, jettent leur cri d’alarme, auquel répondent des hurlements sauvages. Ce sont des cris de guerre, et nous sommes trop loin des gens pour nous expliquer. Heureusement ils ont détruit les grandes herbes, ce qui nous permet de les voir. Nous avons choisi un lieu découvert pour y établir notre camp. Tous ceux qui nous entourent nous prennent pour des chasseurs d’esclaves ; malgré cela, et bien que l’attaque nocturne soit dans les usages de ces tribus, notre sommeil n’a pas été troublé.

Les nuits sont fraîches, en raison de la hauteur où nous sommes. À neuf heures du matin, ainsi qu’à neuf heures du soir, nous n’avons que 14° 1/2. C’est à peu de chose près la température moyenne. Au milieu du jour le thermomètre indique environ 28° ; au coucher du soleil il en marque 21. Le point le plus bas où nous l’ayons vu descendre est 2°7/9es.

Les herbages incomplétement brûlés rendent la marche excessivement pénible. Aux yeux d’un Européen l’obstacle paraît insignifiant ; mais il faut se figurer des brins d’herbe de la grosseur du petit doigt, et des chaumes de la dimension d’une canne, penchés dans tous les sens, et arc-boutés les uns contre les autres de manière à vous faire lever le pied comme pour franchir de hautes bruyères. La force de ces chaumes lors des incendies annuels, donne lieu à des explosions qui ressemblent à des coups de pistolet.

Partout de grandes quantités de sorgho. Nous voyons les buffles paître dans les jardins abandonnés ; quelques-uns poursuivent des femmes, et celles-ci leur échappent en courant beaucoup plus vite que ces bêtes rapides.

Le seul instrument aratoire de ce pays-ci est la houe à manche court. À Têté la culture du sol, qui se pratique ainsi que le représente une vignette précédente, se fait exclusivement par les femmes esclaves. Chez les Manganjas, hommes et femmes cultivent la terre. Sur la côte occidentale on fait usage d’une houe à double manche. Ailleurs, la houe dont on se sert a un manche de quatre pieds de long ; mais nulle part en Afrique les indigènes ne connaissent la charrue.

Néanmoins leur science agricole est pour l’observateur impartial un sujet d’étonnement. La première fois que l’évêque Mackensie vit la manière dont les champs des Maganjas étaient cultivés, il nous dit avec surprise : « Lorsque je parlais de mes intentions relativement aux Africains, je citais les leçons d’agriculture que je me proposais de leur donner ; je vois maintenant qu’à cet égard ils en savent beaucoup plus que moi. » Ce témoignage est celui d’un homme d’honneur, d’un esprit aussi droit qu’éclairé ; et nous croyons que tout individu qui, sans parti pris, verra des Africains non avilis par la servitude, aura de leur intelligence, de leur travail et de leur caractère une bien autre estime que ceux qui ne les ont vus que dégradés par l’esclavage.

Une nuit, couchés assez près d’une hutte pour entendre ce qui s’y passait, nous fûmes réveillés sur les deux heures par le bruit du grain qu’on broyait. « Ma, dit une voix enfantine : Pourquoi moudre quand il fait noir ? » La maman engagea la petite fille à dormir et lui donna le premier sentiment d’un beau rêve, en ajoutant. « Je fais de la farine pour en acheter de l’étoffe aux étrangers, afin que ma mignonne ressemble à une belle dame. » En observant ces races primitives, on trouve