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dans ce village, où nous avons retrouvé l’hospitalité généreuse du senhor Ferrao.

Le 31 janvier 1861, le Pionnier, notre nouveau steamboat arriva d’Angleterre.

Le 11 mars suivant, l’expédition remonta la rivière Rovouma, mais ne s’avança pas bien loin parce que les eaux devenaient trop basses. Il fallut revenir aux côtes de la mer. De là on se rendit aux Comores, puis on retourna au Chiré et en définitive au Zambèse.


Rencontre d’une bande d’esclaves. — Leur délivrance.

Un jour, après avoir traversé Chibisa et Chipindou, les voyageurs arrivèrent au village du chef Mbamé, qui leur apprit qu’une chaîne d’esclaves allait traverser le village pour se rendre à Têté.

En effet, il y avait à peine quelques minutes que nous étions avertis, dit le docteur Livingstone, lorsqu’une longue chaîne composée d’hommes, de femmes et d’enfants, liés à la file les uns des autres, et les mains attachées, serpenta sur la colline, et prit le sentier du village. Armés de fusils, et parés de divers objets de toilette, les noirs agents des Portugais, placés à l’avant garde, sur les flancs, et à l’arrière de la bande marchaient d’un pas délibéré ; quelques-uns tiraient des notes joyeuses de longs cornets de fer-blanc ; tous prenaient des airs de gloire, comme des gens persuadés qu’ils ont fait une noble action : mais, dès qu’ils nous aperçurent, ces triomphateurs se précipitèrent dans la forêt, et tellement vite que nous ne fîmes qu’entrevoir leurs calottes rouges et la plante de leurs pieds.

Le chef demeura seul au poste ; il était en avant ; l’un de nos hommes le reconnut et lui serra vivement la main. C’était un esclave de l’ancien commandant de Têté ; nous l’avions eu nous-même à notre service, et nous le reconnûmes à notre tour.

Aux questions qui lui furent adressées à l’égard des captifs, il nous dit qu’il les avait achetés ; mais les captifs, interrogés ensuite, répondirent tous à l’exception de quatre, qu’ils avaient été pris en combattant. Pendant que nous faisions cette enquête, le chef disparut.

Restés seuls avec nous, les prisonniers, s’agenouillèrent et battirent des mains avec énergie pour exprimer leur gratitude. Nous eûmes bientôt coupé les liens des femmes et des enfants ; il était plus difficile de délivrer les hommes. Chacun de ces malheureux avait le cou pris dans l’enfourchure d’une forte branche de six à sept pieds de long, que maintenait à la gorge une tige de fer solidement rivée aux deux bouts. Cependant, au moyen d’une scie qui, par bonheur, se trouvait dans nos bagages, la liberté leur fut rendue à tous. Nous dîmes alors aux femmes de prendre la farine dont elles étaient chargées, et d’en faire de la bouillie pour elles et pour leurs enfants ; tout d’abord elles n’en voulurent rien croire ; c’était trop beau pour être vrai. Mais quand l’invitation leur eut été renouvelée, elles se mirent promptement à l’œuvre, firent un grand feu, et y jetèrent les cordes et les fourches, leurs maudites compagnes de tant de nuits douloureuses et de tant de journées pénibles. Beaucoup d’enfants avaient à peine cinq ans ; il y en avait même de plus jeunes. Un petit garçon disait à nos hommes avec la simplicité de son âge : « Les autres nous attachaient et nous laissaient mourir de faim : vous nous avez détachés, vous ; puis vous nous donnez à manger ; qui donc vous êtes ? et d’où venez vous ?

Deux femmes avaient été tuées la veille pour avoir essayé de détacher leurs courroies. Le chef avait dit à tous les captifs qu’il leur en arriverait autant s’ils cherchaient à s’évader. Une malheureuse mère, ayant refusé de prendre un fardeau qui l’empêchait de porter son enfant, vit aussitôt brûler la cervelle du pauvre petit. Un homme accablé de fatigue et ne pouvant plus suivre les autres, avait été expédié d’un coup de hache. L’intérêt, à défaut d’humanité, aurait dû prévenir ces meurtres ; mais nous avons toujours vu que dans cet affreux commerce le mépris de la vie humaine et la soif du sang parlaient plus haut que l’intérêt personnel.

Quatre-vingt-quatre esclaves, femmes et enfants pour la plupart, furent ainsi délivrés. On leur dit qu’ils étaient libres et qu’ils pouvaient aller où ils voudraient ; ils aimèrent mieux rester avec nous.

Nous partîmes le lendemain matin pour le village de Soché, avec nos libérés ; les hommes portaient gaiement les bagages. Ayant si bien commencé, nous ne pouvions faire la chose à demi ; huit autres captifs, rencontrés sur notre chemin, furent donc mis en liberté. À la nouvelle de notre approche, des marchands qui se trouvaient dans le village de Soché, décampèrent aussitôt avec une centaine d’esclaves. Le docteur Kirk, appuyé de quatre Makololos, courut à leur poursuite ; mais en dépit de leurs efforts et de l’énergie qu’ils déployèrent, le docteur et ses hommes ne purent rejoindre les traitants qui arrivèrent sans encombre à Têté.

Six esclaves furent encore délivrés à notre passage chez Mongazi ; deux marchands furent mis en fourrière pour les empêcher d’aller avertir les chefs d’une bande nombreuse qui était sur le point d’arriver. Nos prisonniers nous dirent d’eux-mêmes que cette bande était dirigée par les hommes du gouverneur.

Le jour suivant, cinquante nouveaux esclaves furent relâchés ; tous, sans exception, étant nus comme la main, reçurent assez d’étoffe pour se vêtir, mieux sans doute qu’ils ne l’avaient été de leur vie. Le chef de cette bande, homme connu pour être l’agent des principaux marchands de Têté, nous assura qu’il n’avait agi, ainsi que tous les autres, qu’avec l’autorisation du gouverneur. Il n’avait pas besoin de nous le dire ; il est matériellement impossible qu’une entreprise quelconque ait lieu à Têté sans que le gouverneur le sache et y prête les mains.


Le lac Pamalombé. — Encore le Nyassa. — Tempêtes. — Gâteaux de moucherons. — La pêche.— Cimetières. — La traite.

À la fin d’août, en retournant au lac Nyassa, les voyageurs côtoyèrent le Pamalombé, petit lac qui a dix ou