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l’action aspirante de l’eau qui devait avoir quinze brasses de profondeur, tandis que, se tenant aux mêmes rochers, le timonnier sauvait la pirogue. Pendant ce temps, celle du Dr Livingstone dérivait toujours vers l’ouverture tournoyante qui heureusement se referma comme la pirogue y arrivait.

Quelques-uns des objets qui se trouvaient dans le canot du Dr Kirk y sont restés, mais ce qu’il y avait de plus précieux est perdu : un chronomètre, un baromètre, et, à notre grand chagrin, son livre de notes, et ses dessins de plantes et de fruits de l’intérieur.

Nous sommes sortis du fleuve malheureusement trop tard ; le reste de la gorge a été franchi à pied.

L’un de nos ânes est mort d’épuisement près de la Louia. Bien que nos hommes mangent du zèbre et du couagga, animaux qui appartiennent à la même famille, l’idée de manger notre baudet leur a paru répugnante. « Ce serait, disaient-ils, comme si on mangeait l’un de nous autres ; car un âne vit avec l’homme ; c’est son intime compagnon. »

Nous venons de rencontrer deux groupes des esclaves de Têté qui se rendent à Zumbo. Ils y conduisent un certain nombre de femmes manganjas qu’ils vont échanger contre de l’ivoire. Chacune de ces femmes est liée par le cou, et toutes sont attachées à une longue et même corde.

Sanzo, le chef du village qui est à l’est du Kébrabasa, nous a fait le meilleur accueil. Après les saluts ordinaires, il a gravi la montagne, et d’une voix forte a donné l’ordre aux femmes des différents hameaux du vallon de nous faire immédiatement à souper. Vers huit heures, il est revenu, suivi d’une procession de femmes qui apportaient leur cuisine : huit écuelles de nsima, c’est-à-dire de bouillie ; six plats de très-bons légumes sauvages, chacun d’espèce différente ; puis des fèves et des volailles. Tout cela était vraiment délicieux et d’une propreté scrupuleuse ; les sébiles en bois étaient presque aussi blanches que la farine qui s’y trouvait.

Le 23 nous sommes arrivés à Têté, après six mois d’absence.

Les deux matelots anglais, chargés du Ma-Robert, ont joui pendant tout ce temps d’une santé parfaite, et ils se sont fort bien conduits ; seulement leur essai d’agriculture a complétement échoué.

Ils ont découvert une façon originale de terminer promptement leurs marchés avec les indigènes. Après s’être enquis des prix courants, ils prennent ce qui leur convient, payent ce qui est dû, mais sans accorder de plus une seule perle. Si les gens demandent davantage et refusent de quitter le navire, nos matelots vont dans la cabine et en font sortir un caméléon. À peine les indigènes ont-ils vu cet animal dont ils ont une frayeur mortelle, qu’ils sautent par-dessus le bord et s’éloignent au plus vite. Le caméléon sert de cette même manière à apaiser toutes les disputes, sans violence aucune, en un clin d’œil.


Vieille femme mangaja avec le pélélé.

Mais nos deux compatriotes, en notre absence, n’ont pas seulement témoigné d’un bon caractère, ils ont aussi fait preuve d’humanité. Un soir, émus par un cri terrible, ils se jetèrent dans le bateau et volèrent au secours de la personne qui était en détresse. Un crocodile avait saisi une pauvre femme, et la traînait sur un banc de sable. Comme ils arrivaient près d’elle, la malheureuse poussa de nouveau un cri déchirant : le monstre lui avait coupé la jambe. Nos matelots ramenèrent la pauvre créature à leur bord ; ils la pansèrent, lui firent avaler du rhum, estimant qu’ils ne pouvaient lui rien donner de meilleur, et la portèrent dans l’une des cases du village. Le lendemain matin, quand ils allèrent la voir, ils la trouvèrent dans le plus entier abandon ; on avait arraché les compresses qu’ils lui avaient mises et la pauvre femme était mourante. Le bon Rowe, l’un de ces matelots, nous disait :

« Je crois que son maître, voyant qu’elle n’avait plus qu’une jambe, nous en voulait de lui avoir sauvé la vie. »

Le Zambèse étant exceptionnellement bas, il nous a fallu attendre qu’il eût un peu grandi ; et ce n’est que le 3 décembre que nous sommes partis pour le Kongoné. C’était une rude besogne que de maintenir à flot notre asthmatique : tous les jours de nouvelles avaries ; la pompe était désorganisée, le pont s’effondra ; le soir, trois compartiments s’inondèrent. Le 21 décembre, dans la matinée, le pauvre bateau échoua sur un banc de sable, et l’eau s’introduisit de toute part. On ne put ni le dégager ni le vider. Une crue survint pendant la nuit, et le jour suivant on n’apercevait plus du navire que six pieds des deux mâts.

C’est dans l’île de Chimba que nous avons passé le jour de Noël en 1860. Des pirogues que nous avions fait demander à Sena arrivèrent, et le 27 nous étions