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« L’herbe pousse ; le bétail gras prospère ; le poisson nage. » Pas un des fumeurs n’accorde la moindre attention à l’éloquence ou à la stupidité de l’oracle, qui s’arrête brusquement, et à l’air un peu sot dès qu’il recouvre la raison.

Notre arrivée a fait diversion à la monotonie de Sésheké, et il nous vient une foule de visites principalement à l’heure des repas, où l’on a le double plaisir de voir manger les blancs et de goûter à ce qu’ils mangent.

Les hommes font de la cuiller que nous leur donnons un singulier emploi ; ils en usent pour verser le potage ou la viande dans le creux de leur main gauche qui porte ensuite à la bouche ce qu’elle vient de recevoir.

Nous blessons la délicatesse de ces dames en mettant du beurre sur notre pain.

« Regardez-les, regardez-les ! s’écrient-elles ; les voilà qui mangent du beurre cru ! fi ! que c’est sale ! »

Ou bien, une excellente femme à qui nous faisons pitié, nous dira :

« Passez-le-moi ; je vais vous le fondre ; vous pourrez alors y tremper votre pain d’une manière décente. »

Elles ne sont pas moins dégoûtées de notre usage que nous le serions nous-mêmes en voyant des Esquimaux dévorer de la graisse de phoque ou de baleine crue. Dans leur opinion, le beurre n’est mangeable que dans les mets qu’il assaisonne ou quand on l’a fait fondre. Mais c’est surtout en guise de pommade qu’elles en font usage ; elles s’en frottent le corps, parce qu’il leur assouplit la peau, la rend unie et brillante et éloigne les parasites.

Un léger embonpoint aux yeux des Makololos, est nécessaire à la beauté féminine ; mais l’obésité excessive dont on est charmé dans la région qu’a traversée le capitaine Speke, serait trouvée hideuse dans ce pays-ci. Nous avons entendu dire à nos hommes en parlant d’une femme simplement grasse, qu’elle en était laide.


Costumes des hommes. — Construction des huttes. — Jeux des enfants.

Le costume des Makololos se composait anciennement d’une peau d’agneau, de chevreau, d’oulot, de chacal ou d’autre petit quadrupède dépouillé qui s’attachait à la taille et pendait sur les reins. Quand il faisait froid, un kaross ou manteau de fourrure se jetait sur les épaules. Le kaross est maintenant mis de côté ; les jeunes gens à la mode ont une veste en peau de singe, et une espèce de jupe, c’est-à-dire une peau drapée autour des hanches, mais pas de pantalon, de chemise et de gilet.

Presque toutes les tribus qui habitent le bord des lacs ou des rivières se baignent plusieurs fois par jour, et par suite sont très-propres. Toutefois les dames makololos font peu usage des bains, à cause du beurre fondu dont elles se frottent.

À notre passage, l’épouse de Pitsané est occupée à se bâtir une grande hutte, et elle y déploie beaucoup d’ardeur. Elle nous dit que les hommes ont complétement abandonné la construction des cases aux femmes et aux servantes.

Ces cases se font de la manière suivante : des pieux sont plantés en cercle, on y enlace des roseaux que l’on recouvre d’un épais crépissage, et l’on forme ainsi une tour de neuf à dix pieds de hauteur. Une couche faite de tuf ou des débris d’une fourmilière, gâchés avec de la bouse de vache, est ensuite soigneusement étendue sur le sol, ce qui ne permet pas aux tampans de se loger dans les crevasses qu’autrement on n’aurait pas évités. Les tampans sont des insectes venimeux dont la morsure donne la fièvre à certaines personnes, et produit chez tout le monde des plaies très-douloureuses.

La case une fois parquetée, on s’occupe de la toiture dont le diamètre est beaucoup plus grand que celui du corps de logis. C’est à terre que se fait la charpente ; on l’enlève, et on la met à sa place avec l’assistance des voisins et voisines. Une palissade de roseaux, également crépie, va rejoindre la toiture qui la dépasse encore ; elle est placée à trois pieds de la muraille, et l’on a ainsi une galerie couverte qui embrasse tout le bâtiment. C’est dans cette galerie que nous couchons et non pas dans la tour. La porte de cette dernière a des dimensions peu commodes : dix-neuf pouces de haut, vingt-deux à la base, dix-sept au milieu, douze au sommet. Il est difficile d’y passer, et la chambre n’ayant pas d’autre ouverture est à la fois sans jour et sans air.

Les enfants s’amusent entre eux, surtout le soir à la fraîcheur. Une petite fille, par exemple, se fait porter par deux autres ; elle est assise sur leurs épaules et a les bras tendus. Pendant qu’on la promène, les petites compagnes qui lui font cortége, frappent dans leurs mains, s’arrêtent vis-à-vis des huttes devant lesquelles elles passent et chantent de jolis airs. Quelques-unes battent la mesure sur leur petite jupe de peau de vache, tandis que les autres produisent un bourdonnement curieux, qui sert de ritournelle aux chansons.

Quelquefois elles sautent à la corde ; mais en dehors de cet exercice et du jeu précédent, les petites filles n’ont pas de plus grand plaisir que d’imiter les travaux de leurs mères. Elles construisent de petites cases, pétrissent de petits pots, font la dînette, broient du grain dans de petits mortiers ou cultivent des jardins minuscules. Leurs frères ont pour joujoux des lances de roseaux à lames de bois, de petits boucliers, de petits arcs et de petites flèches ; ils s’amusent à faire de petits parcs à bétail, à modeler des vaches et des bœufs, avec de l’argile, et ils reproduisent très-habilement les différentes variétés de cornes. Quelques-uns ont, dit-on, des frondes ; mais dès qu’ils peuvent surveiller les chèvres, on les leur fait garder. Nous en voyons souvent monter les veaux qui leur sont confiés ; l’idée ne leur en est venue que depuis l’époque où nous avons introduit le cheval dans le pays.


Départ de Seshéké. — Les rameurs. — Poissons. — Fraudes. — Bourgadez — Cascades de Moamba.

Nous partons de Séshéké, le 17 septembre 1860 et nous descendons le Zambèse.

27 septembre. — Nous suivons le Zambèse de beaucoup plus près que nous ne l’avons fait en venant ; d’aussi près, à vrai dire, que ses bords rocailleux nous