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immense désastre, les cris des femmes s’élevaient jusqu’au ciel (ainsi que l’a dit un chroniqueur)[1], les vainqueurs, encore souillés du sang fraternel, venaient dans ce temple pour remercier Dieu, qu’ils faisaient de la sorte complice de leurs haines et de leurs crimes ; ils plantaient à côté de l’autel ces déplorables et sanglants trophées, témoignages de ces luttes fratricides que nous avons expiées par des siècles de servage et d’humiliation[2].

Sur l’un des autels de la nef droite, non loin des deux mâts, est le Christ que les Siennois portaient sur leur carroccio à Monte-Aperti. Les gibelins pensaient qu’il avait combattu avec eux, lui qui mourut pour tous les hommes, et lui donnaient la première part dans le triomphe !

Passons maintenant à un ordre d’idées plus sereines, à des gloires pures de toute tache et moins contestables. Voici la chaire de Niccolò Pisano, qui laissa dans ce monument un précieux exemple aux sculpteurs siennois. Ils en profitèrent si bien, qu’au commencement du quatorzième siècle ils purent disputer la prééminence a l’école de Pise et surpasser la florentine. Entre ces bas-reliefs de toute beauté, le plus remarquable est celui du crucifiement, qui rend avec tant de force et de vérité les émotions de ce drame poignant. Un vrai prodige d’élégance, qu’on ne se lasse jamais de regarder, ce sont les figurines placées sur les chapiteaux des colonnes. Dans l’exécution de cet ouvrage, qu’on lui avait commandé le 5 octobre 1266, le grand artiste fut aidé par son fils Giovanni et par ses élèves florentins, les trois frères Goro, Donato et Lapo, auxquels la république accorda, comme récompense, le droit de cité.

Sainte Catherine de Sienne. — Dessin de Catenacci d’après Jacopo della Guercia.

L’escalier de la chaire fut dessiné par maestro Riccio, en 1570.

La chapelle de Saint-Jean, qui s’ouvre sur la gauche, vis-à-vis de celle del Voto, et dont les anciens guides attribuent le dessin à Baldassare Peruzzi, fut dessinée par Giovanni di Stefano, tandis que le premier n’était encore qu’un enfant (en 1482 environ). Le Pinturicchio y peignit à fresque, en 1504, huit petits tableaux, dont trois ont été restaurés un siècle plus tard par le Rustichino. Les fonts baptismaux ont été probablement sculptés par Giacomo della Quercia, et la belle statue de saint Baptiste, par Donatello.

Le monument du cardinal Petroni, qu’on voit en haut en sortant de la chapelle, est attribué à Tino di Camaino, l’un des plus vaillants sculpteurs du commencement du quatorzième siècle, qui a laissé plusieurs de ses ouvrages à Pise[3], à Florence et à Naples.

Le sarcophage de l’évêque Pecci, près de la sacristie, a été sculpté par Donatello en 1426.

L’autel de la famille Piccolomini a cinq statues de saints sculptées par Michel-Ange. Celle de saint François avait été commencée par le Torrigiano. On attribue aussi au grand maître les deux anges et la Résurrection qui décorent l’écusson des Bandini, entre cet autel et la porte de la célèbre Libreria.

La Libreria Piccolominea fut commencée dans les dernières années du quinzième siècle, par le cardinal François Piccolomini Todeschini, qui devint plus tard le pape Pie III, et qui voulait y conserver les écrits de Pie II, son oncle maternel, et les beaux livres enluminés qu’il avait recueillis.

Les deux grilles en bronze ont été fondues par Antoniolo Ormanni, en 1497. Les admirables bas-reliefs des piliers et toute la décoration de la porte sont de Lorenzo Marrina, ainsi que l’écusson des Piccolomini, avec les deux enfants en haut-relief qui le supportent. La peinture qu’on voit au-dessus de la porte, et qui représente le couronnement de Pie II, est de Bernardino Perugino, surnommé le Pinturicchio, auteur aussi des dix fresques de la vie de Pie II qui décorent l’intérieur de la Libreria, et qu’on a longtemps attribuées à Raphaël, sur la parole de Vasari. Mais il paraît désormais certain que Raphaël, qui était alors très-jeune, n’a fait autre chose que dessiner et exécuter en grand les esquisses du Pinturicchio.

Depuis que, sur le conseil de Pie IX, on a ôté du milieu de cette salle le célèbre groupe des Grâces pour le transporter dans la galerie des Beaux-Arts, il nous reste encore à admirer, sur les bancs sculptés par Barili[4], les vingt-neuf livres du chœur pleins de précieuses miniatures, parmi lesquelles on doit surtout remarquer celles de Sano di Pietro, Siennois, de Liberale da Verona, et de Girolamo da Cremona.

  1. Giovanni Villani, liv. 6, chap. LXXXIX. Il dit qu’il n’y avait pas dans Florence une seule maison qui n’eût perdu un homme, tué ou prisonnier dans cette bataille.
  2. Les Florentins aussi ont étalé, pendant des siècles, à l’entrée de leur baptistère, les chaînes qui fermaient jadis le port de Pise ; mais, depuis bientôt vingt ans ces chaînes ont été rendues aux Pisans, qui les conservent dans leur Campo Santo. Pourquoi donc Sienne n’a-t-elle pas encore fait de même pour Florence ? Qu’elle y songe !
  3. Le monument de l’empereur Henri VII qu’on conserve encore dans le Campo Santo de Pise a été sculpté par Tino.
  4. Antonio Barili, célèbre sculpteur sur bois. À part ces bancs, on ne connaît plus qu’un petit nombre de ses ouvrages, qui sont parmi les plus parfaits qu’ait jamais produits cet art.