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lion, ou pour mieux dire qu’il a pris au piége, tandis qu’il poursuivait dans le bois le cours de ses supercheries.

On croit également dans ces parages qu’après la mort d’un chef, l’âme de celui-ci entre dans le corps d’un lion, ce qui rend cet animal sacré. Une fois que nous avions tué un buffle, c’était au delà du Kafoué, un lion, sans doute attiré par l’odeur de la bête, s’approcha de l’endroit où nous passions la nuit et nous réveilla tous par ses rugissements. Touba Mokoro, imbu de l’idée populaire que le lion était un chef déguisé, l’apostropha ainsi dans un moment de silence : « Vous un chef ! C’est vous qui le dites ; quel genre de chef êtes-vous donc pour venir dans l’ombre essayer de nous dérober notre viande ? N’êtes-vous pas honteux ! Un noble chef, vraiment ; vous ne pensez qu’à vous et ressemblez à un scarabée croquemort. Pourquoi ne tuez-vous pas votre buffle vous-même ? Vous n’avez pas le cœur d’un chef. C’est une pierre que vous avez dans la poitrine. »

Les remontrances de Mokoro n’ayant produit aucun effet, l’un des plus calmes, un homme qui parlait rarement, envisagea la question sous un autre jour, et s’adressant au lion avec sa tranquillité ordinaire il lui fit sentir ce qu’une pareille conduite avait d’injuste à l’égard d’étrangers qui ne lui avaient fait aucune injure.


Forgerons Manganjas. — Dessin de A. de Neuville d’après le Dr Livingstone.

« Nous voyageons paisiblement disait-il, passant dans le pays pour aller retrouver notre propre chef. Nous n’avons jamais tué personne, ni dérobé quoi que ce soit. La chair de ce buffle est à nous ; elle ne vous appartient pas ; c’est inconvenant pour un grand chef comme vous de rôder la nuit à la façon des hyènes, et de chercher à voler la viande des étrangers ; Il y a beaucoup de gibier dans la forêt ; allez à la chasse, et ne devez votre nourriture qu’à vous-même. »

Le pondoro ne faisant que rugir un peu plus fort, nos hommes se fâchèrent, et le menacèrent de lui envoyer une balle s’il ne s’éloignait pas. Chacun prit son fusil ; mais le lion se retira prudemment à quelques pas du cercle de lumière que répandaient nos feux. On lui jeta un morceau de buffle où nous avions mis de la strychnine ; il partit presque aussitôt, et de toute la nuit il ne se fit plus entendre.

Extraits de la traduction inédite de Mme H. Loreau.

(La suite à La prochaine livraison.)