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tâmes le sentier que nous avions suivi autrefois sur les bords du Zambèse, et nous dirigeant au nord-ouest, nous avançâmes derrière l’une des chaînes de la montagne, dont l’extrémité orientale s’appelle Mongona, du nom d’un acacia excessivement fétide, que l’on y rencontre.

De même que les Manganjas, les habitants de cette région saluent en frappant dans leurs mains. Quand un homme arrive dans un endroit où il y a des gens assis, il va claquer dans ses mains devant chaque personne, qui lui rend son salut ; puis il s’assied à son tour.

Nous poursuivîmes notre route dans la même direction et ne rencontrâmes que deux petits hameaux dans la journée. Nous trouvâmes sur notre passage une immense quantité de gaïac et de bois d’ébène ; l’arbre dont l’écorce amère et lisse est employée par les indigènes pour faire ces vases cylindriques ou ils serrent leurs grains abondait également. En général, le pays était couvert de forêts composées d’arbres de moyenne taille.

Nous passâmes la nuit près de Sindaboné, dans une petite bourgade où nos hommes, s’étant procuré de la bière à profusion, se montrèrent d’une turbulence peu commune. On déjeuna le lendemain matin à l’ombre de dattiers sauvages, sur le bord fleuri d’une eau limpide qui traverse la charmante vallée de Zibah.

Remontant cette jolie vallée qui nous conduisait au sud-ouest, nous atteignîmes le village de Sandia après une marche d’environ une heure. Le Kfoumo était à la chasse ; on ignorait quand il serait de retour.

Nous avions quelques malades et il fallut séjourner. Les sujets de Sandia se montrèrent pleins de courtoisie. Dans la soirée, un parent du chef vint nous faire une visite ; et n’aimant pas, disait-il, à nous voir manger sans boire, il nous apportait de la bière dont il nous faisait présent. Une fois qu’on s’éloigne des tribus qui ont des rapports avec les marchands d’esclaves, on trouve dans les manières et dans les paroles des naturels beaucoup de choses qui rappellent les patriarches.

Les habitants de la vallée de Zibah appartiennent à la tribu des Badémas ; ils sont plus riches, ont plus de cotonnade d’ornements et des vivres que ceux que nous avions rencontrés jusqu’alors. Ils nous offraient des œufs, de la volaille, des patates, des arachides, des cannes à sucre, des tomates, du piment, du curcuma, du riz, du sorgho, du maïs, et apportaient ces produits en très-grande quantité.

Le sorgho, le tabac, le chanvre et le coton sont cultivés également dans la vallée de Zibah ; ils le sont, d’ailleurs, par tous les habitants du Kébrabasa, où, dans presque tous les villages, comme dans les hautes terres des Manganjas, les hommes sont occupés à filer et à tisser du coton d’excellente qualité.


Le partage d’un éléphant.

Il nous fut impossible de partir le lendemain. Six des Makololos, voulant essayer leurs mousquets, allèrent à la recherche d’un éléphant. Au bout de quelques heures, certains d’entre eux, fatigués de ne rien voir, proposèrent de se rendre à un village et d’y acheter des vivres. « Non pas, dit Mantlanyané, nous sommes à la chasse, allons toujours. » Peu de temps après ils rencontrèrent une bande de femelles avec leurs éléphanteaux. Dès que la première de la troupe eut découvert les chasseurs qui se trouvaient sur les rochers, d’où ils la dominaient, elle plaça, avec un instinct vraiment maternel, son petit entre ses jambes de devant, afin de le protéger. La pauvre bête reçut une volée d’artillerie, et s’enfuit dans la plaine, où elle fut achevée par une nouvelle décharge. Quant à l’éléphanteau, il s’échappa et disparut avec le reste de la bande.

La femme de Sandia fut immédiatement informée de ce succès, attendu que, suivant la loi du pays, la moitié de l’éléphant appartient au chef du territoire où l’animal est tombé.

Le partage d’un éléphant est un spectacle des plus curieux. Les hommes, rangés autour de la bête, gardent un profond silence, tandis que le chef des voyageurs déclare, qu’en vertu d’une ancienne coutume, la tête et la jambe de devant du côté droit appartiennent à celui qui a tué l’animal, c’est-à-dire qui l’a blessé le premier ; que la jambe gauche est à celui, qui a fait la seconde blessure ou qui le premier a touché la bête après que celle-ci est tombée ; que le morceau qui entoure l’œil se donne au chef des voyageurs, et que certaines parts reviennent aux chefs des feux, c’est-à-dire des différents groupes qui forment le camp. Il recommande surtout de réserver la graisse et les entrailles pour une seconde distribution.

Dès que ce discours est terminé, les indigènes fondent sur la proie en criant et s’animant de plus en plus, jettent des clameurs sauvages, tout en découpant la bête avec leurs grandes lances, dont les longues hampes s’agitent dans l’air au-dessus de leurs têtes. Enfin leur exaltation, plus vive de moment en moment, arrive au comble, lorsque la masse énorme est ouverte, ainsi que l’annonce le rugissement des gaz qui s’en échappent. Quelques-uns s’élancent dans le coffre béant, s’y roulent çà et là, dans leur ardeur à saisir la graisse précieuse ; tandis que leurs camarades s’éloignent en courant chargés de viande saignante, la jettent sur l’herbe, et reviennent en chercher d’autre, tous parlant et hurlant sur le ton le plus aigu qu’il leur soit possible d’atteindre. Trois ou quatre, au mépris de toutes les lois, saisissent le même morceau qu’ils se disputent aigrement. De temps à autre s’élève un cri de douleur : un homme dont la main a reçu un coup de lance d’un ami frénétique, surgit de la masse grouillante qui remplit la bête et qui la recouvre. Il faut alors un morceau d’étoffe et de bonnes paroles pour éviter une querelle. Toutefois l’œuvre continue, et, dans un espace de temps incroyablement court, des tonnes de viande sont détaillées et les morceaux rangés en différents tas.

Peu de temps après la division de la bête, arriva le chef Sandia. C’est un vieillard qui porte une perruque de filasse d’ifé, teinte en noir et d’un lustre brillant. L’ifé (sanseveria) est une plante de la famille des aloës :