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que Domenico Beocafumi, dit Mecherino, perfectionnant l’ancienne méthode, dessina les cartons[1] et dirigea l’exécution de ses admirables mosaïques en marbre qui sont de véritables tableaux ; elles sont placées autour du grand autel et sous le dôme.

Dans la partie supérieure de la nef, à droite, s’ouvre la chapelle della Madonna del Voto, qui fut construite par le pape siennois Alexandre VII (Fabio Chigi). — Parmi les peintures, les bronzes, les mosaïques, les statues qui la décorent, on doit remarquer la Madone, à la manière byzantine, qui est sur l’autel et qu’on croit avoir été peinte en 1260.

Jusqu’au commencement du seizième siècle on garda sur le grand autel l’admirable peinture de Duccio di Buoninsegna, le meilleur ouvrage de ce maître, qui y travailla trois ans. Le 9 juin 1310 on porta solennellement ce tableau de la maison de Duccio à la cathédrale ; ce fut un jour de fête pour ce peuple si intelligent et si passionné pour le beau, et si fier de ses gloires. Le tableau était peint des deux côtés[2] ; on a eu l’heureuse idée de le dédoubler et d’accrocher séparément les deux panneaux aux murailles.

Il reste peu de chose des boiseries de l’ancien chœur. Ces œuvres célèbres, commencées en 1363, occupèrent, pendant trente-trois ans, huit maestri d’intaglio (maîtres sculpteurs sur bois)[3]. On n’en possède plus aujourd’hui que les ornements qui encadrent les travaux de marqueterie de la partie antérieure du chœur.

Bien plus remarquables par la beauté de la composition et la richesse des décorations sont les sculptures du nouveau chœur, qu’on admire derrière le maître-autel. Maestro Riccio, l’élève chéri et le gendre du Sodoma, en donna le dessin en 1567 ; l’exécution est due à quatre des meilleurs sculpteurs sur bois du temps[4].

Le maître-autel fut sculpté en 1532 sur les dessins de Baldassarre Peruzzi. Le tabernacle en bronze, qui était jadis dans l’église de l’hôpital, fut fondu par Lorenzo di Pietro, surnommé il Vecchietta, élève de Giacomo della Quercia, qui fut en même temps peintre, architecte, sculpteur et fondeur, et qui dans ce dernier art n’eut pas d’égaux parmi ses contemporains[5].

Les anges en bronze qu’on voit aux côtés de l’autel ont été coulés par Francesco di Giorgio[6].

En face de ces merveilles de l’art, dans le silence sacré de ce temple éclairé par la faible lumière qui tombe des vitraux coloriés, l’esprit reste calme et serein ; des objets qui vous entourent, aucun ne rappelle à la pensée l’idée du sang répandu, d’un affreux carnage, d’une bataille désespérée. Cependant, voici deux longs mâts appuyés aux piliers qui soutiennent le dôme : ce sont les antennes du carroccio[7] des guelfes de Florence. Le 4 septembre 1260, la croix rouge sur fond blanc flottait fièrement à leur bout ; à côté d’elles la Martinella, la cloche des batailles[8], faisait entendre sur le champ de Monte-Aperti son tocsin d’alarme, appelant au combat le peuple de Florence et les guelfes de toute la Toscane. Le carroccio était défendu par l’élite des combattants ; autour de lui, symbole et drapeau de la patrie, se pressaient ce jour-là trente mille fantassins et trois mille cavaliers.

Une déroute immense, un carnage inouï, tel que la rivière de l’Arbia, comme le dit Dante, devint ce jour-là rouge de sang ; dix mille morts et quinze mille prisonniers, Florentins et guelfes ; les défenseurs du carroccio tués tous à leur poste d’honneur, en commençant par leur chef Tornaquinci, vieillard de soixante dix ans : voilà ce que signifient ces deux mâts au milieu de la cathédrale de Sienne !

Tandis qu’à Florence, atterrée par la nouvelle de cet


    de la marqueterie sur marbre. Beccafumi, laissant de côté le stuc et toute matière colorante, n’employa que du marbre, le blanc pour les couleurs claires, le gris de différentes nuances pour les demi teintes et le noir pour les ombres. Tous ces marbres sont joints avec tant de soin qu’un observateur superficiel pourrait prendre ces grandes mosaïques pour un camaïeu peint sur une seule table.

  1. Ces cartons, dessinés de 1517 à 1547, sont conservés dans la galerie de l’Académie des beaux-arts. Ils représentent les histoires d’Achab, d’Élie et de Moïse.
  2. Sur le devant on voit la Vierge avec l’Enfant, assise sur le trône, environnée de plusieurs saints ; de l’autre côté, divisé en trente-quatre compartiments, Duccio représenta la vie de Jésus-Christ. On dit que cette peinture, dans laquelle sont largement employés l’or et le bleu d’outre-mer, fut payé 3000 florins.
  3. Francesco et Giacomo del Tonghio. — Mariano Romanelli. — Giovanni di Francesco del Cicchia. — Luca di Giovanni. — Barna di Turino. — Guido di Giovanni (moine). — Martino di Luca.
  4. Teseo Bartalini da Pienza. — Benedetto di Giovanni da Montepulciano. — Baccio Descherini et Domenico Chiari, Florentins.
  5. Ce tabernacle, du poids de 748 kil., fut commencé en 1465 et achevé en 1472, comme un le voit par l’inscription gravée à la base : « Opus Laurentii Petri pictoris, alias Vecchietta de Senis, 1472. »
  6. Francesco di Giorgio Martini, artiste d’un véritable génie, et le plus grand ingénieur de son époque, après le prodigieux Léonard. Il fut en même temps peintre, sculpteur, fondeur, ingénieur et écrivain. On peut le considérer comme le premier restaurateur de l’architecture militaire. On lui doit l’invention de la mine, qu’on a jusqu’ici attribuée à Pietro Navarro ; mais il est désormais hors de doute que ce terrible engin de guerre fut pour la première fois employé par lui en 1495, lorsque Charles VIII assiégeait Castel dell’Uovo à Naples. Dans sa ville natale, à Urbin, à Naples, à Lucques, à Milan, à Pavie, il donna des preuves éclatantes de son talent universel. Occupé sans cesse dans les arts de la paix et plus souvent dans ceux de la guerre, il trouva cependant le loisir d’écrire des livres remarquables sur l’architecture militaire et civile, sur l’hydraulique, sur la mécanique, sur la métallurgie et sur l’agriculture. M. Promis fit paraitre en 1841, à Turin, une magnifique édition de son Trattato. Il eut le rare bonheur de jouir de son vivant et dans sa patrie des honneurs qu’il méritait, et lui, l’enfant d’un pauvre marchand de volailles, parvint à la suprême magistrature de la République.
  7. Le carroccio fut inventé par les Milanais. Celui des Florentins était « un char sur quatre roues, tout peint en vermeil ; il avait deux grands mais de même couleur, au bout desquels flottait le grand étendard de la commune de Florence, mi-parti de blanc et de vermeil. Il était traîné par deux grands bœufs couverts de draps vermeils, qui ne servaient qu’à cet usage. Et quand le peuple partait pour la guerre, on le conduisait sur la place du Mercao Nuovo, où les chevaliers le remettaient aux chefs du peuple qui le menaient ensuite au combat. Pour le garder on choisissait les citoyens les plus forts et les plus vaillants, et autour de lui se massait toute la force du peuple. » Ricordano Malespini, Storie Fiorentine, cap. CNXLV.
  8. Cette cloche, qu’on conservait dans le Mercato Nuovo, était portée au combat sur le Carroccio. Voici ce qu’en dit Michel de Montaigne dans ses Essais, liv. 1, chap. v : « Les anciens Florentins estaient si esloingnez de vouloir gaigner avantage sur leurs ennemis par surprise, qu’ils les avertissaient, un mois avant que de mettre leur exercite aux champs, par le continuel son de la cloche qu’ils nommoient martinella. »