Page:Le Tour du monde - 13.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du défunt est répandue, ainsi que la farine ; tous les vases, marmites, jarres et écuelles sont brisés comme n’étant plus utiles.

Hommes et femmes portent le deuil de leurs parents. Il consiste en lanières de feuilles de palmier dont on s’entoure la tête, le cou, la poitrine, le bras et les jambes, et qu’on porte jusqu’à ce qu’elles tombent en lambeaux.

« Nous ne passons que quelques jours sur terre, nous disait le vieux Chinsounsé, mais nous revivons après la mort. Nous ne savons pas où nous allons, de quelle manière on est là-bas, ni ceux qu’on y a pour compagnie, puisque les morts ne l’ont jamais raconté. Ils reviennent quelquefois et nous apparaissent en songe ; mais ils ne disent pas où ils sont, ni comment ils s’y trouvent. »

En approchant de Nyassa, le Chiré devient une rivière large et profonde, mais avec un faible courant. En un endroit il forme une expansion de dix à douze milles de longueur sur cinq ou six de large. Ce petit lac, nommé Pamalombé, est plein d’excellent poisson. Les rives en sont basses et bordées d’une épaisse muraille de papyrus. Au couchant, près du rivage, s’élève une chaîne de montagnes qui se dirige vers le nord.

Nous gagnons la résidence du chef Mouana-Moesi, qui est à peu près à un jour de marche du Nyassa. Jamais, au dire des habitants, on n’y a entendu parler d’un lac. Ils nous assurent que le Chiré continue à se dérouler, comme nous le voyons ici, jusqu’à une distance de deux mois, et qu’alors il s’échappe d’entre des rochers perpendiculaires qui s’élèvent jusqu’au ciel.

En entendant ces paroles, nos hommes se déconcertent : « À quoi bon chercher ce lac, puisqu’il n’existe pas ? Retournons au Ma-Robert, disent les Makololos.

— Il faut voir ces rochers merveilleux, répond le docteur, il le faut à tout prix.

— Et quand vous les aurez vus, réplique Masakasa, vous voudrez voir autre chose. Mais il y a un lac, ils ont beau dire que non, ajoute-t-il, c’est bien sûr, puisque c’est dans un livre. »

Masakasa ayant une foi sans borne pour tout ce qui est écrit, s’indigne et reproche aux habitants de nous faire un mensonge. « Le lac existe, leur dit-il ; comment les blancs l’auraient-ils vu dans un livre, s’il n’y en avait pas ? »

Ils reconnaissent alors qu’il y a un lac à peu de distance, en amont du village.

Nous découvrîmes, en effet, le lac Nyassa le 16 septembre 1859, un peu avant midi. La pointe méridionale de ce lac est située par 14° 25’latitude sud et 33° 10’longitude est. Sur ce point, la vallée est d’une largeur d’environ douze milles. Des montagnes s’élèvent des deux côtés du lac ; mais la brume, qui provenait de l’incendie des herbages, nous empêcha alors de voir au loin.

Notre séjour au bord du lac fut nécessairement de courte durée. Nous sommes persuadés par l’expérience que, pour nous, le meilleur moyen de détruire les soupçons qui peuvent naître dans l’esprit des gens, dont les seuls visiteurs sont des marchands d’esclaves, est de ne faire que passer, puis de leur laisser le temps de comprendre que le but de notre voyage, si différent de celui des autres, n’a rien de dangereux pour leur repos, et que nous n’avons à leur égard que de bonnes dispositions.

Un autre motif nous faisait revenir en toute hâte ; la moindre imprudence des hommes que nous avions laissés au Ma-Robert pouvait nous compromettre, et devenir fatale aux succès de l’expédition.

6 octobre 1859. Après un voyage à pied de quarante jours, nos voyageurs arrivèrent au Ma-Robert, et ils redescendirent le Chiré.

Dans la traversée du marais de l’Éléphant, ils comptèrent neuf grandes troupes de ces animaux ; quelques unes de ces bandes formaient une ligne de deux milles de longueur.

26 octobre. Un violent orage éclate, il tombe des grêlons volumineux, à la grande surprise de nos hommes de Sena, pour qui la grêle est chose inconnue, bien qu’elle ne soit pas rare dans les contrées plus voisines du centre. Nous l’avons vue à Karuman tuer des chevaux, des poules, des antilopes, et briser à Kolobeng tous les carreaux des fenêtres de la Mission.

2 novembre. Après avoir jeté l’ancre à la hauteur de Shamoara, nous envoyons à Sena pour y prendre du biscuit et d’autres denrées. Avec sa générosité habituelle, le senhor Ferrâo nous donne un bœuf.

Tous les soirs il nous faut échouer le Ma-Robert sur un banc de sable. Il prend l’eau si rapidement que sans cela il coulerait dans la nuit ; ce n’est qu’en manœuvrant la pompe toute la journée qu’on peut le maintenir à flot.

Nous nous rendons à la côte vers l’embouchure du Kongoné, pour faire réparer notre malheureux vapeur. Puis nous partons le 6 décembre pour Têté, où, après divers incidents et un séjour à Choupanga, nous arrivâmes enfin le 2 février.


Les marchands de Têté. — Cérémonies des noces. — La houille et l’or. — Autre excursion au Kebrabasa.

Les Portugais de Têté poussent l’intempérance et autres vices tellement loin que nous sommes surpris, non pas de ce qu’ils ont la fièvre, mais de ce que la fièvre ne les emporte pas tous à la fois. Leurs habitudes seraient mortelles sous n’importe quel climat. C’était pour les Africains un sujet d’étonnement plus grand encore que pour nous-mêmes ; nos Makololos, par exemple, regardaient avec effroi leurs réunions bachiques. Il n’y a pas de journaux à Têté, pas de libraire, à peine un maître d’école. Si nous étions nés dans un pareil milieu… Nous tremblons d’y penser !

Les mariages sont célébrés ici avec autant de gaieté que partout ailleurs.

Dans le cortége nuptial, les mariés sont portés dans des machillas, c’est-à-dire dans des hamacs suspendus à des perches. La partie féminine des esclaves, parée de ses plus beaux atours, fait éclater la joie qu’elle éprouve du bonheur de ses maîtres. Les hommes por-