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dont le sol est uni et propre, et sur laquelle le figuier banian et d’autres arbres répandent une ombre bienfaisante. Les hommes viennent s’y asseoir pendant le jour, y apportent leur ouvrage, y fument leur tabac ou leur chanvre, et, par les soirées délicieuses où il fait clair de lune, ils y chantent, y dansent et y boivent de la bière.

Les Manganjas sont d’une race active et laborieuse ; non-seulement ils travaillent le fer et le coton, fabriquent des paniers et des nattes, mais ils s’adonnent largement à l’agriculture. Il n’est pas rare de voir tous les habitants d’un village s’en aller dans les champs, et travailler avec ardeur, hommes, femmes et enfants, tandis que les bébés reposent à l’ombre d’un buisson.

Le mapira ou doura égyptien (holcus sorghum) est cultivé avec soin par les Manganjas, ainsi que les fèves, les arachides et le millet. On voit également dans leurs jardins des ignames, du riz, des citrouilles, des concombres, du manioc, des patates, du tabac et du chanvre. Ils sèment du maïs toute l’année et il est peu de villages qui n’aient pas de cotonnerie.

Nous avons trouvé dans notre voyage trois variétés de coton : une indigène et deux exotiques.

On disait à des gens qui habitent les environs du petit lac du Chiré, qu’ils feraient bien de récolter beaucoup de coton parce que les Anglais viendraient en faire l’achat. « Ils peuvent bien venir, répondit Babisa, qui avait beaucoup voyagé : le pays est couvert de coton, et si on nous l’achetait, nous serions bientôt riches. » Nous avons vu de nos propres yeux que la chose était réelle.

Le travail du fer, dont le minerai est tiré des montagnes, constitue la principale industrie de la région méridionale des Highlands. Chaque village a son haut fourneau, ses charbonnières et ses forgerons. Ceux-ci font de bonnes haches, des lances, des fers de flèche, des bracelets qui, vu l’absence de machines et la pauvreté de l’outillage, sont d’un bon marché surprenant : vous avez une houe pesant plus de deux livres pour un morceau de calicot d’une valeur de huit pence.

Les habitants des environs du lac Chirwa et d’ailleurs fabriquent beaucoup de poterie, des marmites, des écuelles, de grands pots où l’on serre le grain, des vases de toute sorte qu’ils modèlent sans tour, et qu’ils décorent avec la plombagine que l’on trouve dans les montagnes.

Les uns s’adonnent à la vannerie et font de jolis paniers avec des éclisses de bambou ; les autres vont chercher du bouazé sur les montagnes où il croît en abondance, et fabriquent, avec ses fibres, des filets dont ils se servent, ou qu’ils échangent contre du sel ou du poisson séché. Ces deux derniers articles sont, avec le tabac, le fer et les pelleteries, l’objet d’un commerce actif entre les villages de cette région.

Beaucoup d’hommes dans ce pays-ci ont l’air intelligent, la tête bien faite, le front élevé, la figure agréable. Depuis que nous sommes habitués à la couleur, ce qui n’a pas été long, il nous arrive fréquemment de rencontrer des gens qui ressemblent à des personnes que nous avons connues en Angleterre, et dont ils nous rappellent les traits d’une manière frappante.

Les Manganjas sont fous de toilette : bagues à tous les doigts, y compris le pouce ; carcans, bracelets, anneaux de jambe en laiton, en fer ou en cuivre.

Mais le plus étonnant de ces bijoux est sans contredit le pélélé, ou bague de lèvre que portent les femmes. Dans leur enfance on leur perce la lèvre supérieure près de la cloison du nez ; une petite épingle en bois y est introduite pour que le trou ne se ferme pas. Quand les bords de la plaie sont cicatrisés, on retire l’épingle, qui est remplacée par une plus forte, puis celle-ci par une cheville qui va toujours grandissant, jusqu’à ce que la lèvre soit assez grosse pour qu’un anneau de deux pouces de diamètre puisse y entrer sans peine. On voit cette parure chez toutes les femmes manganjas des Highlands ; elle est commune sur les bords du haut et du bas Chiré. Dans les classes pauvres, c’est un disque ou un anneau de bambou ; chez les riches, il est en ivoire ou en étain. Le pélélé de métal a souvent la forme d’un plat ; celui d’ivoire ressemble à un rond de serviette.

Pas une femme ne paraît en public sans cet ornement, excepté lorsqu’elle est en deuil. On ne se figure pas l’effrayante laideur de cette lèvre qui se projette à deux pouces au delà du nez. Quand une ancienne porteuse d’anneau de bambou peut sourire, la bague et la lèvre qui la déborde, tirées en arrière par les muscles des joues, se redressent et dépassent les sourcils. Le nez se voit alors à travers l’anneau, et les dents, qui se trouvent à découvert, montrent le soin qu’on a pris de les tailler en pointe comme celles des chats ou des crocodiles. Le pélélé de Chikanda Kadzé, vieille femme qui remplit les fonctions de chef à une vingtaine de milles au nord de Morambala, retombe au-dessous du menton avec la lèvre qui le supporte.

Impossible avec cela de prononcer convenablement les lettres labiales, malgré tous les efforts de la lèvre inférieure qui s’étire pour s’appuyer contre la gencive d’en haut.

Si nous leur disons que c’est affreux et qu’elles feraient bien d’y renoncer, elles nous répondent « Kodi ! » (C’est la mode.)

Pourquoi les femmes portent-elles ces anneaux ? avons-nous demandé à un vieux chef du nom de Chinsounsé.

— Évidemment pour s’embellir, a-t-il répondu, fort surpris de cette question oiseuse. Un homme a de la barbe ; les femmes n’en ont pas ; que serait une femme sans pélélé ? Une créature ayant la bouche d’un homme, et pas de moustache : ah ! ah ! ah ! »

Plus tard, sur les bords du Rovouma, nous avons rencontré des hommes qui portaient le pélélé, tout comme les femmes.

Les lamentations pour les funérailles durent quarante-huit heures. Assises par terre, les femmes chantent quelques paroles plaintives, et terminent chaque vers par le son prolongé d’a-a ou celui d’o-o, ou bien encore d’ia-ia-a. Toute la bière qui se trouve dans la maison