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cellent Une heure de marche nous conduit au pied des montagnes de Manganja qu’il nous faut gravir.

Après une marche pénible, nous nous arrêtons au village d’un chef nommé Chitimba. Il se trouve dans un pli boisé de la première des trois terrasses de la montagne ; comme tous les villages des Manganjas, il est entouré d’un rempart impénétrable d’euphorbe vénéneux. Cet arbre répand une ombre si épaisse qu’il serait difficile de viser du dehors les villageois qu’il abrite. L’herbe ne croît pas à l’ombre de cette haie gigantesque, et cela peut être le motif qui en a généralisé l’emploi. De cette manière, l’ennemi ne rencontre pas, autour des bourgades, de ces chaumes qui lui servent de traînée pour incendier les cases, et les brandons qu’on voudrait jeter sur le toit des cabanes trouvent dans ce rempart incombustible une barrière qui les arrête.

Ainsi que font tous les étrangers, nous nous arrêtons sous de beaux arbres situés à l’entrée du village. On y étend deux nattes fabriquées de roseau pour que les blancs puissent s’asseoir, et le chef apporte un ségouati, composé d’une petite chèvre et d’un panier de farine. Nous lui rendons en retour du calicot et des grains de verre dont la valeur équivaut largement à ce qu’il nous donne. Il mesure l’étoffe, la plie en deux et la mesure une seconde fois. Les perles sont examinées avec soin ; il n’en a jamais vu de cette couleur ; il faut qu’il demande conseil aux gens de son entourage. Enfin, après des examens réitérés et beaucoup de paroles inquiètes, il finit par les recevoir.


Piége à hippopotame — Dessin de A. de Bar d’après le Dr Livingstone.

On met alors en vente de la farine et des pois. Nous présentons une brasse de cotonnade bleue, quantité suffisante pour un habillement complet d’homme ou de femme. Sininyané, le chef de nos Makololos, trouvant qu’une partie de cette étoffe est suffisante pour payer la farine, s’apprête à déchirer le morceau. Mais Chitimba fait observer qu’il est dommage de diviser une pièce qui ferait à sa femme une si belle toilette, et dit qu’il aimerait mieux nous donner plus de farine et l’avoir tout entière. « Fort bien, répondit Sininyané ; mais l’étoffe est très-large ; veillez à ce que la corbeille qu’on emplira soit très-grande, et faites-y ajouter un coq pour que la farine ait bon goût. »

Les affaires s’animent, chacun veut acquérir d’aussi belles choses que son voisin, et tous s’y empressent de bonne humeur. Les femmes et les filles se mettent à piler du grain, les hommes et les garçons à pourchasser les volailles qui s’enfuient en caquetant dans tous les coins du village ; bref, quelques heures après, le marché est encombré de toute espèce de denrées indigènes. Cependant les prix se soutiennent ; les vendeurs mangeront aisément ce qu’ils n’auront pas placé.

Nous passons la nuit sous les arbres ; l’air y est doux et pur ; point de moustiques sur les montagnes.

29 août. Ainsi que nous en avons l’habitude en voyage, nous sommes debout au point du jour, Nous prenons une tasse de café, un morceau de biscuit, et nous nous mettons en marche. L’air est d’une fraîcheur délicieuse ; la route un peu moins pénible que celle d’hier. Nous apercevons une quantité de villages dans des sites pittoresques, et nous gagnons en quelques heures la dernière terrasse à une élévation de trois mille pieds au-dessus du niveau de la mer.