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Tingane dont le tambour de guerre réunit promptement quelques centaines d’archers. Ici les arcs et les flèches sont d’un travail supérieur à ceux des peuplades que nous avons trouvées plus bas.

Nous recevons un assez bon accueil des habitants des bourgades ; ils nous apportent ce qu’ils ont à vendre, et couvrent la rive de leurs produits variés.

Nous voyons maintenant le Pirone, cette montagne majestueuse à laquelle nous avons donné le nom de Clarendon. Plus loin encore, au nord-ouest, la grande chaîne des Milanje représente un sphinx, non terminé, qui regarde Le lac de Chirwa. C’est, dit-on, dans cette chaîne que le Rouho prend sa source ; il coule vers le sud-ouest, et rejoint le Chiré en amont du village de Tingané.

Un peu au delà du Rouho commence le Nyanja-Moukoulou, le grand marais aux éléphants ; nous y avons compté d’une seule fois huit cents de ces animaux qui s’y trouvaient en vue. En choisissant ce marécage pour retraite ils ont fait preuve de leur sagacité habituelle, car il n’est pas de chasseur qui puisse les y atteindre.

L’éléphant mâle de l’espèce africaine est d’une taille de dix à onze pieds, quelques-uns dépassent cette mesure. Il diffère de l’éléphant d’Asie par la forme de son front qui est convexe, et surtout par l’énorme dimension de ses oreilles.

À la sortie du marais, le terrain s’élève et la population augmente. Nous passons devant une longue rangée de cabanes temporaires, situées dans la plaine de la rive droite, où une quantité d’hommes et de femmes travaillent d’une manière active à l’extraction du sel. Ils obtiennent ce produit en mettant, dans un vase percé d’un petit trou, de la terre qui en cet endroit-ci est très-saline ; ils y ajoutent de l’eau qui s’écoule par la petite ouverture et qu’ils font évaporer au soleil.

Il est à remarquer que dans tous les endroits où, comme ici, la terre contient du sel, Le coton est d’une soie plus longue et plus fine qu’ailleurs.

En amont des palmiers, une série d’îles basses et fécondes émaillent la rivière. Beaucoup d’entre elles sont cultivées et donnent du maïs en toutes saisons ; car nous l’y avons vu à tous les degrés de croissance, depuis le moment où il lève jusqu’à sa maturité complète. Les rangées de bananiers décorent les rives ; leurs fruits sont abondants et nous sont vendus pour rien.

Les roseaux qui, des deux côtés, bordent la rivière sont tellement enlacés de convolvulus et d’autres plantes volubiles ou sarmenteuses, qu’ils forment un véritable rempart. C’est une belle chose à voir que ce réseau de verdure, sortant du cristal de l’onde, et paré de fleurs charmantes ; mais les mailles en sont tellement serrées que si par malheur on chavirait, il serait presque impossible de gagner la terre.


Nasse.

Un grand village s’élève sur la rive droite ; Mankokoué, celui qui le gouverne et lui donne son nom, possède plusieurs îles d’une fertilité prodigieuse. Il est, de plus, le chef suprême d’un district important. D’humeur sombre et défiante, il refuse de nous voir, et nous trouvons qu’il vaut mieux passer notre chemin que de perdre notre temps à solliciter une audience.

Le 25 août, nous arrivons à l’île de Dakanomoio, située en face de l’escarpement perpendiculaire où est placé le village de Chibisa. Celui-ci n’y est plus ; il est parti avec la plupart de ses sujets pour aller s’établir près du Zambèse ; mais son délégué est poli, et nous promet des guides, ainsi que les denrées qui nous seront nécessaires. Quelques hommes du village sont en train d’éplucher, de trier, de filer, de tisser du coton. C’est une chose commune dans ce pays-ci ; chaque famille paraît avoir sa petite cotonnerie, comme autrefois en Écosse on avait son carré de lin. |

À notre première visite, Chibisa et sa femme avaient dit au docteur, avec tous les signes d’une affliction bien naturelle, que la bande de Chikasa leur avait enlevé leur petite fille quelques années auparavant, et que la pauvrette, ayant été vendue, était maintenant l’esclave du curé de Têté. À notre retour dans cette ville, le docteur avait fait tous ses efforts pour racheter la petite fille, afin de la rendre à ses parents, et avait offert le double de ce que vaut un esclave. Le curé ne demandait pas mieux ; c’était un brave homme, obligeant et poli, meilleur que la plupart de ses compatriotes, et il aurait sans doute restitué la petite fille gratuitement ; mais il l’avait vendue à quelque membre d’une tribu éloignée, peut-être celle des Baziloulous ; il n’en était pas sûr, et il fut impossible de retrouver l’enfant.

C’est une étrange disposition d’esprit que celle qui conduit des hommes de notre propre race à voir dans l’Écriture des paroles qui justifient l’esclavage. Peut-être, si jamais nous revenons en pays civilisé, y trouverons-nous des gens qui prouveront de la même manière que la polygamie, ou toute autre énormité, est d’institution divine.


En marche à la découverte du lac Nyassa. — Hautes terres des Manganjas. — Coton. — Le pélélé ou anneau de lèvre. — Buveurs de bière. — Lamentations funèbres. — Croyance à la vie future. — Petit lac de Pamalombé. — Découverte du lac Nyassa.

28 août 1859. Nous quittons le Ma-Robert pour aller à la découverte du lac Nyassa. Notre bande est composée de quarante-deux hommes : quatre blancs, trente-six Makololos et deux guides. |

Nous avons donné des mousquets à nos hommes, ce qui ajoute à notre prestige, mais n’augmente pas notre sécurité ; la plupart n’ont jamais posé le doigt sur la gâchette d’une arme à feu ; et il est probable que, s’il y avait combat, leurs mousquets seraient plus dangereux pour nous que pour l’ennemi.

Nous suivons les bords d’un charmant cours d’eau qui nous fait traverser la vallée dans la direction du nord-est. Beaucoup de jardins renferment du coton ex-