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fertilité remarquable, et se déploie entre deux chaînes de montagnes boisées qui lui laissent une largeur de quinze à vingt milles.

Tout d’abord, en partant de l’embouchure, les montagnes du flanc gauche sont tout près de la rivière. Elles la côtoient pendant vingt milles ; puis apparaît, à cinq cents yards du bord de l’eau, un mont détaché, aux flancs abrupts, ayant quatre mille pieds d’élévation, et à peu près sept milles de longueur. Cette montagne, appelée Morambala, ce qui veut dire grande tour du Guet, est boisée jusqu’à la cime, et d’une très-grande beauté.

Quelques bouquets de palmiers et d’acacias apparaissent à l’ouest du Morambala sur la langue de terre qui sépare le Chiré du Zambèse, endroit fertile où abonde toute espèce de gibier.

Au-dessus du Morambala, nous nous engageons dans un marais d’une vaste étendue où serpente le Chiré. Vers le nord, pendant bien des milles, se déploie un véritable océan de verdure dont la surface est tellement plane qu’on pourrait s’en servir pour y prendre la hauteur du soleil. À dix ou quinze milles au nord du Morambala s’élève, en forme de dôme, le Maganja ou Chi-Kanda. Plusieurs autres montagnes, dont les pics ont l’air d’être granitiques, se dirigent vers le nord, et forment la côte orientale de la vallée. Une autre chaîne, composée de roches métamorphiques, ayant son point de départ en face de Sena, ferme la vallée du côté de l’ouest. Après avoir traversé une partie de ce marais, nous arrivons à une large ceinture de palmiers et d’autres arbres, qui se déroule sur la rive droite, où elle divise la plaine.

Les Makololos, ayant mis le feu aux grandes herbes, à la place où ils coupaient du bois, un buffle solitaire s’est précipité hors des flammes, et a chargé avec fureur un jeune homme fort agile appelé Mantlanyane. Jamais la vitesse du pauvre garçon ne l’a mieux servi que dans cette course effrénée ; au moment où il atteignit la berge et sauta dans la rivière, les cornes de la bête furieuse n’étaient pas et six pieds de sa personne.

De nombreux jardins où l’on voit du maïs, du tabac, des citrouilles, bordent les rives marécageuses ; ils appartiennent aux montagnards qui les ont ensemencés pendant la saison sèche. À l’époque des pluies tous ces terrains sont submergés ; une grande quantité de poissons, le mulet africain, surtout, sont pris dans ces jardins pendant la croissance des plantes ; on les fait sécher soit pour les vendre, soit pour les consommer plus tard.

Nous passons devant l’embouchure d’une petite rivière qui sort d’une lagune de plusieurs milles d’étendue ; c’est un cours d’eau profond, d’une largeur d’environ trente yards. Beaucoup d’hommes y sont occupés, sur différents points, à récolter la racine du lotus, qu’ils appellent nyika ; ils en emplissent leurs pirogues. Cette racine, d’un usage alimentaire extrêmement répandu en Afrique, se mange grillée ou bouillie, et ressemble alors à nos châtaignes.

La majeure portion des lentilles d’eau qu’on voit sur le Chiré y sont amenées par cette petite rivière et proviennent de la lagune où celle-ci prend naissance. La lagune est appelée Nyanja-ea-Motope, ce qui veut dire Lac-de-Boue ; on la nomine aussi Nyanja-Pangono, c’est-à-dire Petit-Lac ; tandis que le marais de l’éléphant porte le nom de Nyanja-Moukoulou, qui signifie Grand-Lac.

Notre misérable petit vapeur ne pouvant pas porter tous les hommes dont nous avons besoin, il nous a fallu descendre les chaloupes, et y mettre une partie de nos gens. Un soir l’une d’elles a chaviré dans l’ombre ; il s’y trouvait un individu qui ne savait pas nager, et qu’on n’a pu recueillir ; tous les autres en ont été quittes pour un bain ; mais la mort de ce pauvre garçon nous a remplis de tristesse, et a ajouté au chagrin que nous éprouvions d’avoir été trompés par le constructeur du MaRobert.

Au village de Mboma, par 16° 56’30” latitude sud, nous vîmes une énorme quantité de riz, et les habitants s’empressèrent de nous en apporter ; ils nous le vendirent pour un prix fabuleusement minime : nous ne pûmes acheter la dixième partie de ce qui nous était offert.

Le soir, un ménestrel indigène nous donna une sérénade composée de chants sauvages, mais non dépourvue de charme, qu’il accompagnait de notes bizarres, tirées d’une espèce de violon monocorde (voy. page 132). Son intention, dit-il aux Makolos, était de jouer toute la nuit, afin de nous engager à lui donner quelque chose. Il suffit d’un petit morceau de cotonnade pour le satisfaire ; il s’en alla de très-bonne humeur.

Une chaîne de montagnes, qui prend naissance vis-à-vis de Sena, passe à deux ou trois milles du village de Mboma, et se dirige ensuite au nord-ouest. Le Malahoué en est le mont principal ; une quantité de villages sont appendus à ses flancs boisés. La houille se trouve à fleur de terre ; elle apparaît au milieu des roches. Sur les deux rives, dans chacun des sentiers qu’ont faits les hippopotames en sortant de l’eau pour aller paître, on voit des piéges destinés à ces pachydermes L’hippopotame se nourrit exclusivement d’herbage ; nous ne l’avons jamais vu manger de roseaux, ni d’autres plantes aquatiques ; dans tous les endroits où il a quelque chose à redouter, il ne pâture que la nuit.

Le soir nous fûmes hélés vigoureusement et d’une voix impérieuse.

« Où allez-vous ? nous criait-on de la rive ; où allez vous comme cela ? Pourquoi voyagez-vous ? Quelles sont vos intentions ?

— Vous pouvez dormir. Ne vous mettez pas en peine, » leur fut-il répondu par nos Makololos.

21 août. — « Il fait eau plus que jamais à l’avant, monsieur, et nous avons un pied d’eau dans la cale, » furent les premières paroles qui nous saluèrent ce matin.

Notre malheureuse cabine, toujours mouillée, est devenue le rendez-vous favori des moustiques ; ils y pondent, ils y éclosent.

À quelques milles au-dessus de Mboma nous retrouvons, par 16° 44’ 3O” latitude sud, le village du chef