Page:Le Tour du monde - 13.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expliqua que nous étions Anglais ; que ce n’était ni pour enlever des hommes ni pour nous battre que nous venions dans leur pays, mais pour ouvrir un sentier à nos compatriotes, afin que ceux-ci pussent venir leur acheter du coton, de l’ivoire, tout ce qu’ils auraient à vendre, excepté des esclaves.

Il n’en fallut pas davantage pour changer les dispositions du chef, dont les manières devinrent amicales.

Tous ces indigènes admettent un Être suprême, créateur et gouverneur de toute chose ; ils croient aussi à la perpétuité de la vie au delà du tombeau. La grande difficulté est de leur faire sentir qu’ils ont des liens de parenté avec Le Créateur, et que l’Être suprême s’intéresse à eux. Toutefois, quand on leur annonce que le père est irrité contre ses enfants lorsqu’ils se vendent ou qu’ils se tuent les uns les autres, ils comprennent fort bien vos paroles et les approuvent avec chaleur ; cette idée rentre si complétement dans leur manière de voir ! Mais, ainsi que pour nos compatriotes des classes inférieures, l’instruction et de bons exemples parviennent seuls à élever leur niveau moral.

Le dialecte des riverains du Chiré a beaucoup de ressemblance avec celui des habitants de Têté et de Sena.

Le Chiré, dans toute la partie inférieure de son cours, a au moins deux brasses de profondeur. Plus haut il en sort des branches nombreuses qui en diminuent le volume, mais l’absence de bancs de sable fait que la navigation n’y est pas moins facile.


Violon africain.

À la hauteur d’une centaine de milles à vol d’oiseau, distance que les détours que nous avions faits avaient au moins doublée, nous trouvâmes, par 15° 55” latitude méridionale, de superbes cataractes que nous avons appelées Murchison, en l’honneur du savant illustre dont nous ne pourrons jamais reconnaître la généreuse bonté.

Ces cataractes, auxquelles les indigènes donnent le nom de Mamvira, formaient le premier obstacle que nous eussions rencontré.

La prudence ne permettait pas de risquer un voyage par terre au milieu de tribus assez défiantes pour entretenir sur la rive de forts détachements qui nous surveillaient nuit et jour ; d’ailleurs la saison était peu favorable ; aussi après avoir envoyé nos présents aux deux chefs principaux, nous revînmes à Têté.

Secondée par le courant, notre descente fut rapide. Les hippopotames ne s’y trompaient jamais et s’éloignaient à notre approche ; mais les crocodiles, moins avisés, prenant notre steamer pour un animal inconnu, se dirigeaient quelquefois vers nous en toute hâte. Ils passaient à un pied de la surface de l’eau et produisaient, avec leurs rames et leur corps, trois rides bien prononcées, qui témoignaient de la rapidité de leur course. Arrivés à quelques yards seulement de la proie qu’ils espéraient, ils levaient la tête, et se laissaient tomber au fond de l’eau comme une pierre, sans avoir touché le monstre.

Nous repartîmes pour le Chiré au mois de mars suivant. Cette fois les indigènes nous firent un accueil favorable et s’empressèrent de nous vendre du riz, du sorgho et des volailles. Nous entrâmes en relations avec Le chef Chibisa, dont le village se trouvait à dix milles au-dessous des cataractes.

Chibisa était un homme d’une sagacité remarquable, et de beaucoup le chef le plus intelligent de cette région. La guerre, nous dit-il, avait été souvent pour lui une nécessité ; mais ce n’était jamais lui qui l’avait commencée.

Ayant laissé le Ma-Robert en face du village de Chibisa, le docteur Livingstone et le docteur Kirk, suivis d’un certain nombre de Makololos, partirent à pied pour visiter le lac Chirwa. Ils se dirigèrent vers le nord, et traversèrent un pays montagneux dont les habitants leur témoignèrent des dispositions favorables.


Le lac Chirwa. — Retour à Têté. — Mauvaise construction du steamer.

Le 18 avril nous découvrîmes le lac Chirwa, nappe d’eau considérable où vivent des poissons, des sangsues, des crocodiles et des hippopotames.

Ce lac est légèrement saumâtre, ce qui semblerait annoncer qu’il n’a pas d’écoulement ; il paraît être profond, et contient des îlots pareils à des montagnes. C’est de la base du mont Pirimiti ou Mopeu-peu, situé au sud-sud- ouest de la nappe d’eau, que nous avons aperçu le Chirwa. De là, si vous regardez vers le nord, vous avez un horizon maritime, sur lequel se détachent au loin deux îlots, dont le plus grand et le plus rapproché est couvert d’arbres, et rappelle le sommet d’un mont. Une chaîne de montagnes apparaît à l’orient, tandis qu’à l’ouest s’élève le mont Chikala, qui semble se réunir à la grande masse du Zomba.

Le rivage, près de l’endroit où nous avons campé, était couvert de roseaux et de papyrus. Désirant obtenir la latitude par l’horizon naturel, nous entrâmes dans l’eau et nous dirigeâmes vers ce qu’on nous disait être un banc de sable ; mais les sangsues nous attaquèrent en si grand nombre qu’il nous fallut battre en retraite.

Le Chirwa peut avoir de soixante à quatre-vingts