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Portugais le faisaient recueillir à très-bas prix, et l’échangeaient dans le Manica pour de la poudre d’or ; c’est maintenant le calicot de province étrangère qui est usité comme article d’échange.

Une tribu voisine cultive la canne et fabrique un peu de sucre ; mais les rouleaux de bois dont elle se sert pour l’extraction du jus sont tellement primitifs, elle s’entend si mal en outre à épurer le sirop, qu’elle n’obtient qu’un produit très-inférieur.

Le fer magnétique, ainsi que le charbon de terre, abondent aux environs de Têté. Une seule couche de houille, que nous avons pu mesurer sur la tranchée d’une falaise, y présente vingt-cinq pieds d’épaisseur. Le charbon de cette couche, essayé dans le fourneau du steamer, y brûla bien dès la première expérience. Les cendres, toutefois, renfermaient une grande quantité de résidus schisteux ; mais supposant que cela pouvait tenir à l’action des agents atmosphériques, dont l’influence s’exerçait depuis des siècles sur la paroi de ce banc de houille, nous forâmes un puits à une dizaine de mètres, et il fut constaté que le charbon s’améliorait à mesure que la fouille était plus profonde.

On trouve de l’or dans le lit des rivières à deux jours de marche de Têté. Les indigènes en connaissent parfaitement la valeur ; mais il est rare qu’ils se donnent la peine d’en recueillir ; et quand ils le font, ils ne creusent jamais à plus de quatre ou cinq pieds ; ils redoutent l’éboulement du sable et ont peur d’être enterrés vifs. À l’époque où, jadis, les trafiquants se rendaient aux lavages d’or avec des centaines d’esclaves, le produit était considérable ; maintenant il se réduit à fort peu de chose. Les terrains aurifères ont toujours été possédés par des tribus indépendantes ; on n’y a jamais fait de tranchées profondes, comme cela se pratique en Australie ou en Californie ; des bassins de bois pour laver le métal sont les seules machines que les mineurs de ce pays-ci aient jamais employées.

Les rapports qu’on nous avait faits des rapides de Kébrabasa avaient tellement éveillé notre curiosité, que nous étions bien décidés à nous y rendre. Nous profitâmes de ce que les eaux du Zambèse étaient plus basses que d’habitude pour aller voir ces rochers pendant qu’ils étaient découverts. Nous y arrivâmes le 9 novembre. De Têté à Panda Mokoua, où s’arrête la navigation, le pays est boisé et montueux sur les deux rives. Panda Mokoua, située à deux milles au-dessous des rapides, est une montagne coiffée de dolomite, et qui renferme des mines de cuivre.

Parmi les arbres de la forêt, le massif baobab, remarquable entre tous, se distinguait non-seulement par son énorme volume, qui aurait fait prendre ses voisins pour de simples arbustes, mais aussi par son écorce, dont la couleur était exactement la même que celle de la syénite égyptienne. Le baobab creusé, dont nous avons parlé plus haut, mesurait soixante-quatorze pieds de circonférence ; l’un de ceux que nous vîmes en allant aux rapides en avait quatre-vingt-quatre, et il y en a de cent pieds de tour sur la côte occidentale.

La chaîne élevée de Kébrabasa, formée en grande partie de montagnes coniques revêtues d’arbres inégaux et mal-venants, traverse le Zambèse et l’enferme dans une gorge étroite et rocailleuse d’une largeur d’environ quatre cents mètres. Au fond de cette gorge, qui est remplie par les eaux à l’époque du débordement, sont des masses rocheuses entassées pêle-mêle dans un état de confusion indescriptible. La gravure (page suivante) ne donne qu’une faible idée de la scène, en ce sens que les montagnes qui enserrent le fleuve ne s’y voient pas.

C’est la syéni qui domine ; quelques parties de cette roche, disséminées dans la masse, sont d’une belle couleur de lapis lazuli ; quelques autres sont grises.

Les blocs de granite rosé abondent également ; et ces énormes débris, joints à des roches métamorphiques tordues et enchevêtrées, précipitées çà et là dans toutes les positions imaginables, offrent un exemple de dislocation et de désordre qui ferait la joie d’un professeur de géologie. À l’époque où le Zambèse est débordé tout ce chaos disparaît et la surface du fleuve n’est pas moins unie en cet endroit qu’en aval des rapides, où sa largeur est d’un demi-mille, c’est-à-dire de huit cents mètres.

Dans la saison sèche, le courant occupe le fond d’un chenal étroit dont les bords, pendant la saison des crues, ont été polis et cannelés par les eaux tourbillonnantes comme la margelle des vieux puits d’Orient par le frottement de la corde. En maint endroit ce sillon d’écoulement n’a pas plus de quarante à soixante yards[1] ; il forme de brusques détours, se dédouble parfois, et produit de petites cataractes.

Nos mâts, bien qu’ils eussent trente pieds de hauteur, n’arrivaient pas au niveau qu’atteint le fleuve à l’époque des crues ; la sonde descendait à dix brasses sans y rencontrer le fond.

Tous les renseignements que nous avions pu obtenir des Portugais se réduisaient à ceci : que des rocs détachés au nombre de trois ou quatre surgissaient du fleuve dans la gorge de Kébrabasa, et qu’un steamer pourrait aisément franchir la passe bien qu’elle fût dangereuse pour les canots peu gouvernables des indigènes ; ils ajoutaient que si, avec la mine, on faisait sauter un ou deux de ces rocs on passerait alors sans difficulté.

Après avoir péniblement exploré huit ou dix milles de ces rapides, nous revînmes à bord avec la persuasion que le simple examen des cataractes demanderait beaucoup plus de travail que nos amis n’en croyaient nécessaire pour les faire disparaître. C’est pourquoi nous redescendîmes le Zambèse afin de prendre des vivres, et de nous préparer à une étude plus sérieuse de cette région.

Repartis le 22 novembre pour Kébrabasa[2] nous arrivâmes le 24 au pied des montagnes.

  1. Le yard, composé de trois pieds anglais, représente un peu plus de quatre-vingt-onze centimètres (0, 914).
  2. Les indigènes appellent cet endroit Kebra-basa (fin, ou rupture du service) ; le nom de Kébra que lui donnent les Portugais signifie la même chose. Ici, en effet, la navigation est interrompue ; les grands canots déchargent leurs marchandises, dont le transport se fait par terre jusqu’à Chicova.