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Ceux des Africains dont l’intelligence est pure de toutes ces sottises croient à un Être suprême qui a créé toute chose, qui habite au-dessus des arbres et qu’ils appellent Moroungo ; mais ils ne l’invoquent jamais, ne savent rien des relations qu’ils ont avec ce grand Esprit, ni de l’intérêt que celui-ci porte aux hommes. Suivant eux, les esprits de leurs ancêtres sont tous bons, et, en certaines circonstances, les secondent dans leurs entreprises. Quand un homme s’est coupé les cheveux, il a soin de les brûler ou de les enterrer secrètement, de peur qu’un sorcier ou un individu qui a le mauvais œil ne vienne à s’en emparer et ne s’en serve pour l’affliger de maux de tête. Ils croient à la vie future.

Le manguier croît d’une manière luxuriante au-dessus de Lupata, et fournit une ombre épaisse ; son fruit délicieux, meilleur en cet endroit que sur la côte, nourrit pendant une partie de l’été les indigènes qui en prennent soin. Comme parmi ces arbres les uns donnent en novembre et d’autres en mars, tandis que la force de la production est entre ces deux époques, on a des mangues en abondance pendant quatre mois de l’année ; les indigènes les aiment beaucoup ; malgré cela, rien ne peut les décider à planter un manguier. Ils sont intimement convaincus que celui qui fait venir un de ces arbres ne tarde pas à mourir.

Une autre superstition, répandue même parmi les Portugais, originaires de Têté, veut que celui qui plante un caféier n’ait plus de bonheur à espérer en ce monde ; ils prennent cependant du café, et n’en paraissent que plus heureux.

Les Portugais ont un grand nombre d’esclaves, qui tous ont les vices ordinaires de leur caste et qui sont menteurs, voleurs et dissolus.

Parfois des noirs, réduits à la misère, sacrifient volontairement leur qualité d’hommes libres et deviennent esclaves sans autre cérémonie que de rompre une lance devant celui qu’ils prennent pour maître.

Les officiers et les marchands envoient des bandes d’esclaves, sous la conduite d’un homme sûr, pour chasser l’éléphant et acheter de l’ivoire ; ils leur donnent une certaine quantité de verroterie, de calicot, etc., dont le prix doit être représenté par un certain nombre de défenses.

C’est une bonne fortune pour les chasseurs quand l’animal est tué près d’un village ; ils y trouvent non-seulement à échanger la viande de la bête contre de la bière et de la farine, mais encore à faire emplette d’ivoire, ce qui est une occasion de dépenser beaucoup de temps, de boisson et de paroles.

On nous répète ici que la plupart des Africains ont la passion du commerce ; ils s’y livrent avec ardeur, et plutôt par amour de la chose que pour le profit qu’ils en retirent. Un négociant nous disait que les indigènes lui apportaient souvent une défense, qu’ils réfléchissaient au prix qui leur était offert, voulaient davantage, débattaient le marché, se retiraient à l’écart pour se demander conseil, et partaient sans rien conclure. Le lendemain ils allaient chez un autre, faisaient leurs conditions, réfléchissaient, parlaient, se consultaient, ne finissaient rien, et continuaient ce manége sans plus de résultat, jusqu’au moment où, n’ayant plus personne à voir, ils cédaient la précieuse défense pour un prix souvent moins élevé que celui qu’ils en avaient trouvé d’abord. Ce qui les pousse à faire traîner l’affaire en longueur, c’est l’importance que leur donnent à leurs propres yeux les cajoleries des négociants qui les flattent pour les persuader.

La médecine est exercée dans le pays sur une assez grande échelle. Indépendamment des praticiens réguliers, qui ont de l’expérience, connaissent l’effet de certains médicaments, et rendent des services réels, il y a les spécialistes ; par exemple les docteurs ès-éléphants, qui préparent une drogue réputée indispensable à quiconque veut attaquer le noble et sagace animal ; pas un chasseur ne s’aventurerait dans cette périlleuse entreprise sans être muni de ce précieux talisman. Les docteurs ès-crocodiles vendent un spécifique non moins nécessaire, qui protége son possesseur contre le redoutable amphibie.

Un soir, nous avions appâté un hameçon avec un chien, l’un des morceaux de prédilection du crocodile ; mais les docteurs vinrent détacher l’appât ; car ils protégent leur monstre, en vertu de ce principe que plus il y a de crocodiles, plus on vend de la drogue qui met à l’abri de leurs atteintes.

Non moins en faveur auprès des Portugais que des natifs, le devin ou docteur ès-dés est l’un des princes de la corporation. La police rentre dans sa spécialité, et c’est lui qui recherche les voleurs. Quand une chose a disparu, il se rend à l’endroit où le vol a été commis ; il examine les lieux, jette ses dés, attend quelques jours, et moyennant salaire, dénonce le larron. Il est assez rare qu’il se trompe ; car ne se fiant pas complétement à ses dés, il a partout des agents secrets, dont les démarches, les questions, les renseignements personnels le mettent à même de découvrir le coupable.

Depuis l’introduction des armes à feu, des docteurs ès-mousquets ont surgi et vendent le médicament qui fait les habiles tireurs. Il y a les docteurs ès-pluie, etc. Tous les spécifiques de ces différentes écoles sont de petits talismans, dont la vente appartient aux docteurs ; ils se portent suspendus au cou, et préservent du mal celui qui en est pourvu. Quelques-unes de ces amulettes renferment la drogue efficace ; les autres ne font qu’en accroître la puissance ; mais plus on en possède, plus on est protégé.

L’indigo, ainsi que nous l’avons dit, croît d’une manière luxuriante dans les rues de Têté ; il y acquiert trois ou quatre pieds de hauteur ; il en est de même pour la casse de Sena[1]. Les habitants n’en tirent aucun parti ; néanmoins ils trouvèrent mauvais que nous nous eussions fait cueillir des échantillons de ces plantes par les Makololos.

Un coton de première qualité est cultivé par les indigènes, mais sur une très-petite échelle, et n’est employé qu’à la fabrication d’une étoffe grossière. Autrefois les

  1. Suivant le docteur Hooker, ce serait la Cassia acutifolia qui fournit le sené du commerce. (Note du traducteur.)